Page du 11 novembre 2017 jour de Léonard de Vinci
Nous avons tous nos supers héros, des êtres merveilleux à qui l’on attribue des pouvoirs extraordinaires. Je crois choisir les miens mais en fait, ce sont eux qui s’imposent, ils me tiennent depuis mon enfance pour ne plus me lâcher. Leurs fantômes bienveillants hantent mes neurones. Cette monstrueuse merveille qu’était Léonard de Vinci ne s’en prive pas, c’est un de mes plus fidèles visiteurs. Comme les crêpes qui ont toujours deux côtés, cette idole brillant de mille feux garde sa part d’ombre : je ne voudrais pas être un dandy à son image par exemple. Cela ne me pose guère problèmes : je n’atteindrai aucune renommée durant le bref temps de ma vie et je ne laisserai guère plus de traces que la fumée de ma crémation dans le vent, l’écume de mes cendres sur la mer et quelques octets sur l’internet.
Il est patent que le génial de Vinci avait d’autres ambitions que de simplement peindre des centaines de chefs d’œuvre. Pfff ! le sfumato… trop facile ! Ce maître considérait comme banale son aptitude à répandre des pigments sur des panneaux de bois, à réussir à peindre aussi aisément l’invisible sous les apparences, à restituer l’inaccessible aux gens ordinaires, à donner toujours un peu plus de lui-même au fur et à mesure de son œuvre. Non, ce qu’il voulait, c’était se distinguer du commun des mortels par des inventions technologiques révolutionnaires semblables à celles qu’il a pu admirer dans sa jeunesse et qui permirent la construction du splendide Duomo de la cathédrale de Florence. Ce Duomo, prêt à subir sans broncher les assauts du temps, fut le point de départ de la Renaissance.
La technologie de l’époque ne permettait pas la construction du Duomo de la Cattedrale di Santa Maria del Fiore : quarante-cinq mètres de diamètre, trente-trois mètres de haut, une double paroi, quatre millions de briques penchées au-dessus du vide sans s’effondrer pour un poids de trente-sept-mille tonnes et tout ça avant que Christophe Colomb ne découvre l’Amérique… celui qui fit ça ne fut pas simplement un architecte qui osa se mesurer à l’impossible avec une corde à 13 nœuds, mais un orfèvre de métier.
Son constructeur n’a laissé aucune trace écrite et le problème technique que pose son exploit demeure ardu. Nombre de prétendants se sont cassé les dents en voulant résoudre son énigme. Dans notre imaginaire, une cathédrale, c’est l’œuvre d’art absolue, le modèle indépassable : pas pour un Léonard de Vinci, son œuvre en elle-même se veut une cathédrale qui touche le sublime.
Jeune apprenti à Florence et à bonne école durant les dernières touches de la construction, il voulut dépasser son géant d’employeur Filippo Brunelleschi enterré sous son ouvrage, et monter plus haut que le Duomo : il rêva d’être le premier homme à voler. Son ambition véritable, le fil rouge de tous ses efforts, fut d’étudier les grands oiseaux pour passer à la postérité après s’être envolé d’une manière ou d’une autre. Les avions sont des rêves merveilleux qui travaillent l’humanité depuis ses origines. Certains s’envolent pour ne jamais revenir. Ils sont comme ces rêves à la fois sublimes et maudits qui se laisseraient engloutir par l’infini des cieux.
Les miens seront plus humblement de ne pas gâcher par la vulgarité le petit coin de paradis artificiel que foulent mes pieds quand d’autres veulent toute la plaine rien que pour eux. C’est que je n’ai toujours pas admis que nos mastodontes modernes puissent décoller.