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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 14 novembre 2017 Jour de Coriolan

Denis Vallier

   Pascal disait que pour avoir la foi, il suffisait de s’agenouiller et de prier, que l’existence précède l’essence, que le geste précède l’émotion, que l’acte précède la puissance, que pour être roi, il suffit d’être pris pour un roi. Il a peut-être raison, les uns s’assoient bien dans un fauteuil et se croient présidents. Je l’ai écouté, me suis mis à genoux et j’ai prié comme on hurle à la Lune. Et alors… rien… Rien que le silence infini du vide entre les galaxies. Je n’étais peut-être pas assez agenouillé, je n’ai sans doute pas assez fait semblant. Depuis je me méfie de Pascal et de ses paris stupides. Manifestement il ne connaissait pas les émirs du Golf qui démontrent à l’évidence que l’essence préexiste à l’existence. Malgré tout, je suis allé voter et là, miracle ! Je me suis crû en démocratie !

   Shakespeare est un génie : par-dessus les siècles il démonte les rouages de notre comédie humaine. Cette dimension « pascalienne » de son œuvre n’en est que la première approche : l’acteur finit par coïncider avec le rôle qu’il est en train de jouer. Si jouer est si amusant, pourquoi ne pas jouer tout le temps ? se demandent les gamins ainsi que Shakespeare.

Daniel Maclise, 'The Play Scene in 'Hamlet'' 1842

Daniel Maclise, 'The Play Scene in 'Hamlet'' 1842

   Mais en prenant du recul, l’autre dimension qui émerge, c’est l’impossibilité de dire si oui ou non nous sommes dans une pièce de théâtre tout comme il nous est impossible de dire si oui ou non nous sommes en train de vivre ce que nous vivons, si je suis ou non en démocratie. Vu ainsi, le théâtre devient un passe-muraille, un couloir spatio-temporel qui nous fait passer du parterre à la scène, de la réalité au rêve en toute incertitude.

   Dans « Comme il vous plaira », Jacques le mélancolique voit le monde entier comme un théâtre. Cette métaphore mélancolique est constante et elle s’élargit à l’œuvre entière. Le monde entier devient une scène de théâtre, on ne peut pas prouver que cela ne l’est pas donc ça l’est sûrement. Les uns et les autres, nous n’en sommes que les acteurs : « Ils ont leurs entrées et leurs sorties » et cela s’étale sur les sept âges de la vie selon l’auteur. Ce n’est pas forcément qu’un effet de la mélancolie, c’est aussi une lucidité à l’œuvre nous donnant le sentiment que les individus occupent une fonction et donc jouent un rôle tout comme le garçon de café de Sartre joue au garçon de café.

   Ainsi perçue, la réalité est fiction et la fiction est une forme de réalité. Au moment de mourir, Hamlet s’adresse directement aux spectateurs : « et vous qui pâlissez à ce coup du sort, spectateurs silencieux de cette scène, si j’en avais le temps, je pourrais vous dire … etc… ». Dans Shakespeare, les acteurs sont tout à la fois acteurs, spectateurs et commentateurs d’eux-mêmes dans une mise en abyme. C’est le cas d’Hamlet, de Jacques mais aussi de bien d’autres qui passent sans cesse le seuil entre fiction et réel. Le théâtre réfère constamment à lui-même et Pirandello n’a rien inventé.

   En poussant légèrement le bouchon dans notre bouteille à l'encre contemporaine, Macron c’est Hamlet la tête de Hollande en main : « Être de gauche ou ne pas être de droite ? »
« La pièce des pièces » Hamlet, c’est l’histoire du Roi Lion qui finirait mal : le fantôme de son père l’informe qu’il a été tué par son frère et notre héros décide noblement de le venger. Mais souffrant d’une superbe procrastination il lui faut cinq actes et un concours de circonstances peu ordinaires avant de se décider à passer à l’acte, c’est le cas de le dire, et encore... Le personnage Hamlet ne réussit pas à être l’acteur de la vengeance, il ne se décide pas à jouer le rôle du justicier qu’on attend de lui… N’est pas Zorro qui veut. Hamlet ne réussit qu’à devenir le fou qu’il contrefait. Tout bonnement génial... Prédictions pour les années qui nous attendent ?
   À l’opposé d’Hamlet, dans l’attente prolongée de venger son père, on trouve Coriolan, l’anti-acteur, l’anti histrion. C’est l’extraordinaire homme d’action antique, une force de la nature orgueilleuse au-delà de tout, très proche de sa mère ce qui n’est pas loin de rappeler, là aussi, notre fluet Président de la République.

Etienne Aubry, Les Adieux de Coriolan à sa Femme.

Etienne Aubry, Les Adieux de Coriolan à sa Femme.

   Que l’on ne me soupçonne surtout pas de soutenir sa rivale, mais la comparaison s’arrête là, même en imaginant un Macron bodybuildé grandi de 30 cm. L’effort serait vain. Sa mère essaye de le convaincre de séduire le peuple, de montrer ses glorieuses blessures, de faire campagne, mais son orgueil lui interdit toute démagogie, thème central de la pièce. Par une dignité secrète, il refuse à autrui tout droit à son image : « Un soldat mort en mérita autant que moi ». Quand elle lui demande pourquoi il ne veut pas devenir consul, il lui répond : « J’aime mieux servir les hommes à ma guise, que les gouverner à la leur…». Les tribuns montent alors la population contre lui et le condamnent au bannissement parce qu’il n’a pas la gueule de l’emploi. Cet homme mériterait évidemment d’avoir le pouvoir dans la mesure où il le déteste, il le considère d’une grande platitude. Il se veut dans la sincérité, dans l’intégrité et il dresse un tableau en creux au vitriol de nos hommes politiques prêts à toutes les compromissions pour escalader le tas de cadavres de leurs adversaires.
   Quand il est banni, Coriolan retourne le geste en rejetant Rome toute entière avant de passer carrément à l’ennemi : « Vile meute d’aboyeurs ! Vous dont j’abhorre l’haleine autant que l’émanation des marais empestés et dont j’estime les sympathies autant que les cadavres sans sépulture qui infectent l’air, c’est moi qui vous bannis ! »… Quand il se laissera fléchir contre sa nature, acteur qui aurait oublié son texte, cela lui coûtera la vie.

   Il y a du De Gaule lors de sa traversée du désert là-dedans mais le Grand Charles n’est pas passé à l’ennemi. Il est le dernier grand homme politique shakespearien sur cette planète. Coriolan, c’est De Gaule qui, après-guerre, toute victoire consommée, aurait décidé de devenir allemand. Ne voterions-nous pas avec enthousiasme pour un homme politique qui aurait à ce point le dégoût de flatter ? Connaissez-vous de nos jours un homme politique qui ait le dégoût de flatter ? « Qui aime le peuple ? Celui qui le flatte ou celui qui l’insulte ? » demande Shakespeare. Mais, au final, qui l’emporte ? Celui qui se drape dans sa dignité et que l’on rejette ? ou celui qui s’agenouille et baisse la tête pour obtenir le pouvoir ? Tout sauf naïf il devait avoir sa petite idée. Coriolan est une pièce que n’aurait pas reniée Nietzsche dont on comprend si mal l’adage « Il faut protéger les plus forts contre les plus faibles ». Si Macron réussit le mariage des deux, il sera un des plus grands dirigeants que la terre aura porté.
   Les pièces de Shakespeare s’imbriquent les unes dans les autres façon puzzle jusqu’à représenter le monde où il vivait. Les personnages, s’opposent, se complètent jusqu’à faire le tour de la question. On s’imagine le plaisir qu’il a dû prendre en construisant ces édifices complexes et à les assembler dans une œuvre. Comment procédait-il ? Avançait-il sur un fil tel l’équilibriste ou au contraire, ne se lançait-il qu’après avoir bouclé la boucle ? Nul ne le saura. Laissons-le se reposer dans son hamac tendu entre deux points d’interrogation.

Page du 14 novembre 2017 Jour de Coriolan
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