Page du 21 novembre 2017 jour souterrain.
De plus en plus, j’ai la tentation d’explorer le monde des rêves souterrains, celui de mes racines. Ce n'est pas possible, me semble-t-il, de consacrer tant d'heures d'une vie à rêver sans tenir compte d'une possible signification du contenu des rêves. En fait, tous ces réveils au cours desquels j'ai fait des efforts pour me rappeler mes rêves de la nuit passée et les noter m'ont appris qu'ils sont effectivement significatifs. Par contre, les rêves possèdent une logique qui se démarque de la logique cartésienne, ils sont la porte ouverte sur une dimension autre, ils nous nous parlent de ce que nous sommes, et surtout, selon Tobie Nathan, « rêver est une chance, un don offert par la nature ». Ils sont des fils d’Ariane qui nous permettent de nous retrouver dans le labyrinthe de nos vies. Ce sont eux qui m'ont permis de trouver l’issue et mon conduit ici. J'ai tout balancé par-dessus bord à cause d’eux et maintenant, me voilà à sauter à pieds joints dans ce texte
L’outillage numérique prolonge, et fort souvent, se substitue à l’outillage mental et à la main pour graver mes inscriptions sur les parois de verre de nos contemporaines cavernes désormais portatives. Le poids d’une pensée, d’une écriture, d’une vie est devenu portable, transportable.
Le poids d’une pensée… j’écris de ces âneries !... Que pèse une pensée en fait ? Devant une telle énigme, je fais comme d’habitude : j’interroge la nuit et je dors.
La nuit a fait son métier et l’aube m’a répondu que la pensée pèse exactement et ni plus ni moins que le poids du sens. Que l’acte de la pensée est une pesée effective et continuelle : la pensée sans n du monde, des choses, du réel en tant que sens…et que, somme toute, cette pensée n’est qu’une chose parfaitement triviale, mécanique, froide, prédictible, ancienne, qu’elle n'est qu’une réaction de la mémoire sur elle-même, le simple mouvement d'une partie du corps, du muscle cérébral. L’aube a rajouté que la pensée ne sait que reformuler son propre savoir, qu’elle appelle ces reformulations des nouveautés comme quand elle se croit neuve chaque matin, qu’elle croit trouver, créer mais que ce ne sont qu’illusions, que c'est faux ! Elle reformule. Avec sa simplicité trompeuse, Ovide a eu l’ambition de nous « dire les métamorphoses des formes en des corps nouveaux », vaste programme fort poétique en réalité.
Au lever du premier soleil, le premier homme sur Terre s’est levé aussi et a dit : « Où devons-nous aller, nous qui errons dans cette désolation à la recherche du meilleur de nous-même ? ». Chaque jour, le soleil se lève et se couche, à nous de choisir si l’on veut être ou ne pas être. Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il gèle ou non, à nous de nous mettre sur le chemin de la beauté ou non, c’est le choix qui s’offre à nous chaque matin. La beauté par grand froid est toujours la beauté. Beaucoup plus tard, Goethe dans le même état d’âme dira que « la beauté est une invitée qu’on aime inviter partout ».
Même un enfant aux pieds normaux aime l’entière création si on lui donne des chaussures neuves. Bête ou alerte, un pied ne sera vraiment un pied qu’au moment où il foulera le sol. Peu importe nos qualités, c’est ce qu’on en fait qui a de la valeur. Malheureusement, quasi immanquablement, depuis que l’homme est l’homme, quand on lui donne la possibilité de choisir, l’homme fait le mauvais choix. Et malgré cela, il est toujours satisfait de lui-même… ce doit être un facteur sélectif de l’évolution. La matière des merveilles à venir existe potentiellement depuis toujours, reste à y insuffler de l’intelligence. Créer, ce n’est que révéler un ordre nouveau là où jusque-là, il n'y avait que des éléments sans rapport apparent les uns avec les autres. Mais ce n’est déjà pas si mal, me dis-je en toute fausse modestie quand j’assemble mes mots anciens usés d’avoir tant servi.
À ma Windows, un morceau de pseudo-réel présent, là sous mes yeux, sur la page blanche, le soi-disant Word entier et un morceau de désir, la lettre à écrire, mais à qui ? Je ne crois pas avoir jamais écrit pour qui que ce soit, même pas à moi-même. (Ne te vexe pas, ma mie, écrire des lettres d’amour, ce n’est pas écrire…c’est séduire…mais qu’est-ce qu’il y a ? ne te vexe pas te dis-je, il y a prescription…). De lettres qu’en est-il ? À qui s’adresse l’écriture est une question vaine. On fait avec des mots des sortes de trachées vides où le silence peut-être vibrera. Personne n’en est dépositaire, comptable, ni responsable. Pas plus qu’un chat ne l’est de bondir, de griffer l’anecdote qui passe et de s’éclipser dans la nuit. Chacun cherche désespérément, à sa manière, un remède à l’absurde. Aux grands maux, les grands-mères et leurs remèdes. Les uns se réfugient dans la croyance et la foi, d’autres se droguent pour de bon ou plongent dans la recherche illusoire de la toute-puissance par la politique ou l’expression artistique. Les plus sévèrement atteints font tout à la fois. Les irrécupérables écrivent à personne.