Page du 6 novembre 2017 jour en équilibre instable
Aux confins d'un royaume oublié, se cache une porte magique.
Un défilé d'ombres qui se dérobent au grincement des huisseries
et des gonds branlants garde jalousement le secret, ne pipe mot,
veille en armes du soleil couchant à la lune naissante.
Faisant fi du sésame, niant même l'existence d'une clef d'or,
un gueux tout en poux se poste devant le bois précieux,
croyant à une clémence toute particulière des esprits toujours présents,
l'impénitent vise la serrure de son œil torve pour y jeter un regard furtif.
Las ! le pourceau y perd la vue, la foi et sa raison.
Et les ombres de danser en silence et la porte de ne pas ciller…
(Petite précision préliminaire : chaque fois qu’en ces pages, il sera lu « on », il faudra entendre par là l’individu. Certains académiques ont voulu mener la guerre contre l’invasion des on et bien je leur donne tort, c’est un tout petit mot sympathique, convivial et généreux.)
Je me berce d’illusions. J’affirme n’écrire que pour moi, mais je vois bien que ce texte n’est pas qu’un texte : c’est un enchaînement rythmé de signes désespérés que je te fais, comme on agite le bras d’une rive à l’autre en attendant de trouver le point, le pont, la passerelle. Un petit tour de passe-passe… mais de passerelle point de praticable telle que.
Lecteur, tu t’engages, pour tenter à l’aveugle, une marche, dont l’enjeu, pour toute attente, ne tient qu’à un fil ténu que je jette avec innocence et sans étai entre les rives du moi, du pareil, et celles de l’autre, du soi-disant différent. La difficulté est que j’ai tendance à perdre le fil de l’histoire avec toutes mes virgules. Ce qui fait notre noblesse à nous les humains, ce n’est pas le fait de pouvoir traverser un vide sur un fil, mais que l’on risque de tomber. Ce que l’on risque révèle ce que l’on est. Paralléliste entre l'impensé et le devenir, tu me demandes : « Comment as-tu fait pour passer de l’autre côté ? » et je te réponds « T’inquiète, tu y es déjà ! ». À notre époque, la spatialité n’est certainement pas simple affaire de corps, même s’ils y sont impliqués. Elle est, en effet, avant tout un don apriori de l’amour et de la coexistence avec les autres. Si tu penses pouvoir me suivre jusqu'au bout alors un bon conseil : arrête-toi en chemin. Puis retourne sur tes pas et regarde : tu auras parcouru la route en sens inverse en suivant mon conseil jusqu'au bout. On peut aisément le faire à petits gestes du doigt sur ces supports vitrés. Arrivé à mon point de départ, tu auras atteint ton but. Bonne route!
Toute avancée n'est que recherche d'un nouvel équilibre, on a tendance à mettre un pied devant l'autre en rétablissant l'équilibre menacé par notre dernier pas : ton seul balancier sera ton intuition et le contrepoids de ta raison, avec, je l’espère, ton humour bien calé au milieu. Tsss Tsss Tsss, métavis, qu'y aurait comme un courant de gausse dans ce fil, un magnétisme qui risque d'attirer bien des incongruences comme l'eût pu dire Carl Friedrich. Il n’y a de sens à comprendre le désarroi dans lequel nous projette une déception, qu’à déceler qu’elle rompt, au sens propre, le fil de notre rapport au monde et nous laisse choir. Je te souhaite donc, avant tout, un pied ferme et réactif…
Il dépend de celui qui passe à ma portée que je parle ou me taise, que je sois tombe ou trésor, ceci ne tient qu'à toi ami, n'entre pas ici sans désir. Aller vers un autre, attendre quelqu’un d’autre en pensant que lui, peut-être, répondra aux exigences du désir : c’est ce passage qui assure la capacité de créer, c’est-à-dire de trouver du différent, là où on pensait n’attendre que du semblable
Sous l’accueil peut percer l’écueil. Celui qui ne veut pas me suivre n’aura nulle peine à me laisser choir dans mon lointain intérieur.
D’un autre côté… je ne peux pas dire aux gens : « J’écris. Passez votre chemin. » Les lois de l’hospitalité sont implacables et à la fin, la personne qui préfère écrire est condamnée à donner son manteau au quidam, à le laisser pénétrer de plus en plus profond dans la maison, à donner un baiser à toutes les épidémies. Tousse pour un, grippe pour tous !
Écrire, c'est tout autant s'exiler. En écrivant, vous n'avez plus de toit, plus de cage, juste le ciel comme abri et c'est cette nudité devant les choses que vous aimez. Un écrivain ne peut écrire qu'en se sentant enfant trouvé, bâtard. Devenir le fils de personne, d'aucune patrie, c'est pour moi la seule attitude possible. Je crois que l'on ne subsiste et persévère que si l'on a un désir de résistance à tout très ancré en soi. Une résistance à tout ce qui ne vous paraît pas relever de la beauté et de sa vérité... même illusoire. Un résistant, c’est celui qui dit non quand la plus part autour de lui se taisent.
Je ne serai donc jamais un véritable écrivain, je ne peux être ce que j’admire, de plus, je n’ai pas assez de continuité en moi : j’ai toujours l’impression ridicule que le mot que j’écris est le dernier. Un proverbe allemand souligne : « l’éponge absorbe mais il faut la presser pour qu’elle s’exprime ». Je refuse simplement de faire cause commune : je veux être futile à la France et au monde. (Je veux être futile à la France… ce coquin de François Morel m’a piqué l’expression je ne sais trop par quelle magie ou télépathie au moins trois ans après que je l’ai posée par écrit…).Vous aurez beau chercher, mon ouvrage n’est pas du domaine de l’utile. Vous n’avez donc pas à vous demander à quoi vous servira d’ouvrir ces pages, mais de quoi mon regard et ma main sont susceptibles de vous délivrer… Quelle porte ouvriront-elles en vous ? Quel verrou sautera ? Vous me feriez un bien grand honneur car c’est ce que j’espère chaque fois que je prends un livre en main.