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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 23 décembre 2017 jour des mots doux

Denis Vallier

      Le langage est peu de choses, le langage ce n'est rien, c'est une broutille, un détail, une futilité dans ce vaste univers, des poussières que les vents solaires balaient. Et surtout, ce n’est pas ce qui nous donne une vision du monde. Quel est le langage des univers ? Le langage, c'est des mots, des concepts consensuels que tout le monde utilise pour se comprendre, ça facilite les choses, ça permet d'aller plus vite, c'est efficace, commun, banal, mais sans profondeur. Il flotte en surface du monde. Tout le monde sait ce que « rouge » veut dire, mais personne ne peut vous le décrire. Et pourtant, je le sais, c'est le seul pont entre moi et le monde, donc autant l'utiliser le mieux possible.

Dessin de Gary Patterson: "J'ai faim"

Dessin de Gary Patterson: "J'ai faim"

      J’ai des mots plein la tête en permanence qui s’agitent par milliers, qui se chamaillent comme chatons et chiots, s’entremêlent, se combinent, s’associent, slament, se reproduisent. Mais « au fond », les mots sont les choses les plus insignifiantes qui aient jamais été créées, ils découpent la totalité en tranches fines, ils se comparent plus à des lentilles qu'à des yeux. Des lentilles qui précisent certaines choses, certes, mais en déforment d'autres, c’est pourquoi je ne me déconseille pas de regarder ailleurs sans pour autant loucher comme Jean-Paul Sartre. À la base, dans les tout premiers temps, il n'y avait pas de mots, il y avait de la musique, quelque chose d'infini, le vrai langage de l'âme, la vraie vision du monde ; saurai-je la retrouver ? Quels souvenirs ai-je de l’époque où je ne parlais pas ? Que sais-je de l’époque ou de la vie sans le langage puisqu’il est partagé par tout le monde aujourd’hui ? Qui, à part mon chien ou mon chat, pourrait me le dire sans piper mot ?

Tableau de Vladimir Kush "African sonata"

Tableau de Vladimir Kush "African sonata"

      Plus par goût du paradoxe et de la formule que de la provocation, je soutiens que les mots sont les choses les plus insignifiantes qui aient jamais été créées. Mais qu’on ne s’y trompe pas, je sais pertinemment qu’ils ne sont pas uniquement des outils de communication. Pour qui sait les utiliser, jouer avec eux et les apprécier, les mots sont porteurs de toutes les émotions, de toutes les idées, de chaque concept dans son infinie particularité. Comme la musique, ils savent traduire et susciter par une simple suite de sons ou de caractères, les différentes réactions électrochimiques qui produisent les sentiments... Les mots sont aussi bien musique que mélodie, poésie, colère et dérision. Ils nous apportent l’illusion d’une possibilité de se faire comprendre non pas seulement dans notre globalité, mais jusque dans nos plus intimes détails : illusion car en réalité, c’est impossible. Ils peuvent même créer du sens en dehors de celui qu’on leur prête comme le soutient Lacan. Les mots sont aussi des armes : avant Louis XI, les Bretons se battaient avec les Bourguignons, ceux du Nord de la France contre ceux du Sud, la langue d’oïl contre la langue d’oc. En imposant les mots du Français comme langue commune, Louis XI a fait une nation de ces tribus éparses. Pourtant, les mots ne sont jamais responsables que de ce qu’en font les hommes. S’ils peuvent être le plus merveilleux des ponts quand on en fait un art (il en ressort alors quelque chose d'authentique et de véritablement profond), ils peuvent aussi prêcher la haine et la terreur par la voix d’un fou de Dieu.
      Malgré tout, je continue avec entêtement à croire que l'homme est un animal purement musical, qu'il a en lui quelque chose de radicalement opposé au verbe remontant aux origines, une nostalgie de l’amibe initiale.
      Il est évident que j’ai grand tort à vouloir généraliser ainsi en me basant sur une croyance. Peut-être devrai-je dire : « J'ai quelque chose de radicalement opposé au verbe, quelque chose d'infiniment musical »... Car qu’est-ce que ce « verbe » sinon le don, la vie, l'esprit, l'auto-affection ? Toute représentation, donc toute langue, ainsi que tous leurs mots se fondent sur le verbe : il les contient tous et aucun, car il ignore la transcendance. Il est dans le même temps ce que j’appelle « la musique », celle qui qui n’a pas de notes. Si j’ai quelque chose de radicalement opposé au verbe, c'est seulement dans ma tête car, en réalité, c'est lui qui me soutient à chaque instant. 
      Tout ça, n’est finalement que le fruit d’une méditation perturbée, une réflexion poétique quelque peu grandiloquente et tarabiscotée, mais qui passerait bien mieux si elle était mise en musique. La poésie n’a pas à s’expliquer par des mots et encore moins à se justifier.

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