Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 19 décembre 2017 jour boiteux

Denis Vallier

Peut-on dégager de la diversité de ce que je raconte quelque chose d’un dessein général ? En cette affaire il se pourrait qu’avant toute autre une dévorante préoccupation esthétique soit probablement à l’œuvre et que le fond importe peu. Je suis intimement convaincu de cette évidence que la pensée, comme la matière, même fécale, ne réalise sa puissance que dans une forme belle. Malheureusement, ce qui est joli mène fort souvent à la bêtise comme vous pouvez le constater. Je m’y suis laissé prendre, jusqu’au point de tomber dans la graphomanie, ce travers fascinant et exaspérant de la sophistication à la française. J’en ai fait le pas même de ma démarche boiteuse !

      Mais malgré tout il n’y a pas que ça. « Ce que je fais, je ne sais pas ce que c’est, je ne le saurai que quand je l’aurai fini. Et je ne l’aurai fini que quand je saurai ce que c’est…» ai-je posé en préambule. C’est le paradoxe de Ménon que je redécouvre là sans l’appui de Socrate : « Comment prendre pour objet de recherche quelque chose dont on ne sait pas ce que c’est et selon quel critère identifier, si on la trouvait par hasard, la chose que l’on recherche si on ne la connaît pas ?»
Tentons toutefois, Mesdames, Messieurs, de vous présenter enfin mon projet, ce fatras invraisemblable qui finira par constituer, du moins je l’espère, un considérable grotexte des catacombes de ce monde virtuel parallèle même s’il demeurera assez peu sexy : trop court pour couvrir le sujet et trop longs pour qu’on le suive.
      Après m’être livré comme jusqu’à présent à un petit exercice d’autofiction et d’autodérision, non seulement pour ne pas apparaître trop prétentieux (peut-on y échapper ?) mais aussi pour temporiser ce que j’aurais aimé étaler d’entrée de jeu, je vais m’employer sur une petite dizaine d’années à un lent tour d’horizon général et approximatif sur les 3600° qui m’entourent dans toutes les dimensions, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, sur une période qui va de Neandertal aux neurosciences en passant par Aristote et les Pieds Nickelés. Par la suite, d’un vague regard sans grande précision, car je ne sais pas trop ce que je verrai encore à cet âge-là surtout en louchant, je tenterai de focaliser sur mon époque puis sur mon paysage intérieur parfaitement endotique si le mot existait. En vérité, je l’avoue, je ne fais que rêver cette démarche boiteuse hésitante et imperceptible.

Qu'on le veuille ou non, nous sommes tous des enfants spirituels de ce berbère de Saint Augustin d'Hippone.

Qu'on le veuille ou non, nous sommes tous des enfants spirituels de ce berbère de Saint Augustin d'Hippone.

      Bien qu’elles soient très serrées, je n’ai pas écrit ce que vous lirez entre mes lignes, tout le mérite en reviendra à votre imagination, à votre sensibilité et aux impulsions de vos neurones. Toute lecture est unique et chacun voit midi à sa porte.
      Je dépose dans ce cahier mes idées, mes images. Une image, une idée ne vient jamais seule. Une idée en cache toujours une autre qu’il faudra explorer à son tour. Entre elles, c’est une histoire d’amour et d’attirance, d’écosystèmes d’idées qui agglomèrent d’autres idées en couches successives qui peuvent se révéler bien plus intéressantes que le germe initial. Une idée, ça se travaille comme une pâte à pain, ça se triture, ça se manipule dans tous les sens, ça s’ensemence de levure, ça vit. Pour la faire lever, on l’arrose comme les plantes, avec notre amour. Il ne sert à rien de l’arroser beaucoup d’un seul coup, il vaut mieux le faire à petites doses mais régulièrement. Et puisque notre cerveau est le terreau de ces idées, il faut le cultiver lui aussi pendant la période de maturation comme on prépare la terre de son jardin. En piquant des fragments d’idées de ci, de là dans d’autres jardins, nous alimentons la plante le temps qu’elle grandisse. À chaque fois, il faut revenir la voir avec un regard neuf ou du moins s’y efforcer : nous devons sans cesse changer de regard pour que de nouveaux détails se dévoilent. Ils étaient là auparavant, bien sûr, mais on ne les voyait pas. Peut-être ne voyons-nous les choses que quand le moment est venu de les remarquer. Cela peut être, au fond, une forme de courage envers soi. Mais en général, on n’a de l’imagination que pour ce qui nous intéresse et on ne voit et on ne lit que ce que l’on veut bien voir.
      C’est pour cela que j’aime reprendre en main de vieux bouquins un peu moisis que j’avais lus étant gamin. Si je me revois souvent de dos, je découvre par-dessus mon épaule des idées magnifiques qui étaient restées cachées là à m’attendre pendant plus d’un demi-siècle parfois. Les idées ont la patience tenace des pierres.

Page du 19 décembre 2017 jour boiteux
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commentaires