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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 30 mars 2018 jour de cogito

Denis Vallier

      Si elle se prolonge, la privation sensorielle par enfermement dans un cachot totalement noir et silencieux est une torture traumatisante mais malgré tout se vendent des sortes de coffres capitonnés où l’on baigne confiné dans de l’eau tiède et l’obscurité la plus complète. Mikaël Jackson en aurait paraît-il abusé et on peut se demander s’il en a tiré bénéfice. Si l’on se risque à l’expérience, de quoi aurions-nous encore conscience au bout d’un moment ? Nos simples pensées, méditations ou rêveries suffiraient-elles pour qu’on se sache encore vivant ? Combien de temps survivrions-nous ainsi avant de devenir fous ? Le militaire américain dans « Né un 4 juillet » d’Oliver Stone, qui se retrouve brutalement paraplégique et sans aucun contact avec le monde extérieur, passe par des moments atroces dont on se souvient toute sa vie après avoir vu ce film sorti en 1989. Tandis que nous, tranquillos au soleil, on se tient debout sans même y prendre garde, on respire sans nous en rendre compte tandis que, tant bien que mal, nous parviennent aux narines quelques vagues effluves. Maintes activités sont faites ainsi machinalement sans réelle présence au monde. Quand je suis absorbé par une lecture ou accaparé par un film, à quel monde suis-je donc présent ? La conscience n'est rien d'autre qu'un flux qui ne possède rien, une émission vide, un principe. C'est un flux insignifiant tendu vers la « matière » physique ou mentale et ce n'est que rechargé au retour qu'il prend consistance. Quand je dis « Je », c’est que le flux m’est déjà revenu comme le tonnerre gronde longtemps après le flash de l’éclair. Car pour avoir conscience DE, tout doit revenir à moi en écho. J’ai le sentiment d’exister à tout instant par ce que le flux est constant et le reflux me reviens constamment et peu importe sur quoi il a rebondi. Notre conscience peu regardante a les grandes oreilles des chauves-souris. (Conseil à d’éventuels lecteurs : ne prenez qu’avec des pincettes ce que j’avance là, je ne suis sûr de rien : ce ne sont qu’intuitions de béotien à grandes oreilles…)

Page du 30 mars 2018 jour de cogito

      Ce dont je suis certains par contre, c’est que nous sommes sujets à la distraction et vite saturés, voire aisément blasés : nous ne sommes pas toujours tout-à-fait conscients d'être conscients tant nous sommes indifférents à l’extraordinaire privilège qui nous est accordé. On parlera là de degré de conscience. Mon œil grand ouvert peut se trouver face à une orchidée rare, à une œuvre d’art prodigieuse ou encore à une montagne en majesté, mais comme je suis mentalement absorbé par une réflexion ou une rêverie, je suis ailleurs, je n’ai pas, ou que très partiellement conscience de ce que je vois à cet instant là comme disparaissent les odeurs trop familières. Peut-être est-ce l’objet lui-même qui m’a mis dans cet état hypnotique. Bizarrement par contre, mon regard reprend du service quand je croise une jolie fille mais je retombe aussitôt en hypnose si je me mets à la suivre, ne serais-je qu’un roseau mal pensant ? Tout cela est très ordinaire, mais je devrais me réjouir de mes limites car je n’ai pas, fort heureusement, la conscience totale du monde où marchent certains autistes : elle est particulièrement encombrante et pénible à supporter constamment du moins je le suppose. Apparemment, ce n’est pas un cadeau même si, paraît-il, on se fait à tout encore faut-il être équipé pour.

Page du 30 mars 2018 jour de cogito

      Je dis ceci, je dis cela, mais à propos, qui parle quand je dis « Je »? La question vient m’enfoncer un coin au milieu du crâne quand « je » la dis et me coupe en deux : l'observateur et l'observé… j’avais bien besoin de cela ! Je m’objective et « Je » deviens objet. J’ouvre l’ère des robots d’Asimov : les objets parlent aux objets et entrent en résistance. Quand on commence ce jeu de séparation du « Je », il peut se poursuivre à l'infini. Je ! Je suis « je »… Je suis moi… moi est « je »… Je me vois… Je vous vois ! Je ne suis pas vous… Vous n’êtes pas moi. Vous et moi sommes nous… Nous ne sommes pas eux ! Ils ne sont ni nous ni moi. Ils me voient… Je les vois ! Qui sont-ils ? Qui suis-je ? Je suis…Descartes aurait stoppé net en disant « Je pense, donc je suis ». Mais tant qu’il pense cela, il n'exprime rien : tout reste en lui. Par contre dès qu’il le dit, il s'exprime, il s'engage dans la mondanité, dans l'altérité, dans l'échange avec l'extérieur et son « je » prend corps. Et l'on pourrait tout aussi bien dire que ces relations ne sont pas seulement des liens noués ou se dénouant, mais bien les éléments constitutifs du « Je ». « Je » ne serait donc rien d'autre que le faisceau de relations observées. En somme, un « Je » vu comme un nœud d'intersection de relations, aussi bien des relations d'appartenance que des relations participatives actives.

      Quand je pense il n'est nul besoin de dire « Je » : la pensée est fondue dans le « Je ». C'est l'objectivation de la pensée en soi et pour soi. Nous pensons et une sorte de mécanisme apparemment indépendant et neutre en nous, presque étranger, vient lire ces pensées et en faire un collage. Les pensées apparaissent, racontent leur histoire parfois en une fraction de seconde et puis s'en vont. Certaines sont rudimentaires ou primaires, d’autres sont vastes comme des continents mais c'est toujours une fluidité, une intelligence en mouvement. Faute d'être décryptées ou retenues les pensées meurent et ce qui est révélé alors, n’est que le squelette de leur froid mécanisme. À longueur de temps, c’est le grand massacre des idées, elles s’amassent en tas dans nos poubelles intérieures, font terreau où germent les jeunes pousses du prochain cycle, ça c’est du bio ! C'est une véritable intégration passive et le bouillonnement est incessant. Notre sensibilité dispose d’une prodigieuse machine.

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