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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 18 avril 2018 jour sans papier

Denis Vallier

      À ce que l’on observe sur les réseaux sociaux, se constituer un illusoire profil virtuel devient la principale préoccupation de nombre d’entre nous. On en arrive au point que la santé mentale de notre jeunesse hyper connectée s’en trouve menacée.

Catastrophe

Catastrophe

      Pour ma part, si je ne suis pas plus une réussite qu’un solitaire, je m’impose des limites au ridicule : je peux aller jusqu'à présenter un passeport ou une carte d’identité pour me simplifier la vie, mais quand même pas jusqu’à me doter d’une identité sociale ou culturelle d’autant plus si elle est fictive…Quelle pitoyable ambition que la « notoriété » de ceux qui ont plusieurs milliers d’« amis » sur Facebook… « L’identité culturelle n’existe pas : les cultures sont collectives et changeantes, une culture qui ne change pas est morte » nous affirme François Jullien qui en connaît un rayon puisque philosophe, helléniste et sinologue.

      Pour commencer, des identités, on en a trop : on est d’une famille, d’une religion, d’un clan, d’un quartier ou d’un village, d’une profession, d’une ethnie, d’un régime alimentaire, d’un département, d’une région, d’un pays, d’un continent, d’une planète d’un système solaire, d’une galaxie, d’un amas de galaxie… Stop à la dilution ! Dans l'ensemble, et déjà bien avant que les réseaux sociaux virtuels envahissent notre quotidien, les hommes vivent moins pour éprouver les émotions directes de la vie que pour remplir une sorte de rôle social auquel ils attachent une importance énorme et dont l'absence leur paraît plus tragique que la perte même de la vie. C’est à rapprocher du nombre croissant de suicides en pleine jeunesse quand le petit monde dans le monde que l’on s’est construit s’effondre. Or nous avons besoin de ce rôle, nous sommes en recherche de cette identité surtout quand on a perdu toute trace de culture personnelle. Mais d’un autre côté, quelle est donc ma culture ? N’est-elle pas qu’un verni ?

      D’avoir sa propre identité n’est déjà pas en soi une mince affaire… Il me faudrait être et ne pas être ? La vie en société se passerait donc sur une scène de théâtre shakespearienne où l’on apprendrait son rôle en improvisant au fur et à mesure que l’on joue ? Tout ça ne serait qu’un jeu ? De toute façon l’identité, la plupart du temps, ne sert à rien et finit en paperasse ou sur les disques durs d’une quelconque batterie d’ordinateurs au-delà du Cercle Polaire. Pourquoi donc s’en préoccuper si le soleil, l’amour et l’amitié vous réchauffent la peau et le cœur ?

Page du 18 avril 2018 jour sans papier

      Il y a quelques temps de cela, j'étais en garde à vue pour quelque broutille sans importance à la gendarmerie de ma bourgade. Un brigadier ronchon, à qui je faisais certainement raté le dernier épisode de Plus belle la vie, me prit à parti et sa curiosité me sembla quelque peu déplacée. Figurez-vous que cette maréchaussée inquisitrice eût souhaité que je déclinasse mon identité… Mon identité ! Ha Ha Ha !!! Nonobstant une crainte fort justifiée, je récitai à ce rougeaud quelque vers bien choisis dans l’œuvre de François Villon et l’entreprit sur une synthèse fort brillante des travaux de Freud, Jung et Lacan réunis. Quelle ne fut ma surprise lorsque ce manant me souffleta violemment le haut du crâne, pensant que j'usais d'ironie ! Pffff ! Ainsi donc, je compris l'inutilité du raffinement et de la culture face à de si frustes comportements et, trivialement mais en toute dignité, même blessée, je lui présentai ma carte d’identité…

      Au 21ème siècle, on continue à évaluer un homme à la qualité de son passeport, c’est ce qu’il y a de plus beau en lui. Et si vous en êtes démuni, vous n’êtes plus rien. D’ailleurs, comme le constatait Bertolt Brecht, « l’homme n’est que le moyen de transport de son passeport ». Pourtant, personne n’a d’autre identité que cette espèce de centre vide de la parole, ce noyau d’énergie suspendu, libre de tout contact avec toute matière comme au cœur du futur réacteur d’ITER. Comme dans ce projet de fusion nucléaire, le défi est d’en extraire quoique ce soit d’utile à la communauté quand tout se ligue pour vous en dissuader. Toutefois, si, respectant la loi de conservation, l’énergie globale est toujours égale à elle-même dans notre univers, il n’en va pas de même pour l’identité beaucoup plus fluctuante surtout quand on circule sans papiers…

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