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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 13 septembre 2018 jour au fer rouge

Denis Vallier

      Tout passe devant nous, « corbillards familiers aux chromes éclatants » menant les morts à Corbeil, « étymologiais-je » doctement. Tout passe, « comme autant de troubles anciens, d'indifférentes peines et de lointains combats », soliloquais-je allègrement pas plus tard que hier. Pourtant, rien n’est innocent, tout laisse son empreinte, les cicatrices se payent un jour. Nous sommes marqués, au cours de nos existences, par des événements de toutes sortes et notamment par certains qui laissent des traces pernicieuses et nous empoisonnent sérieusement l'existence, d'autant que nous sommes plus ou moins dans l'ignorance de cela. Il en est de légers qui s’inscrivent dans du sable et que le vent balaye... Il en est de moyennement marquants, traces de pas dans la boue, remédiables à terme... Il en est d’autres d’indélébiles, vécus en état second dans l'ignorance de ce qui nous advient et des conséquences que cela entraînera : c’est un marquage au fer rouge, à fond, gravé dans la roche et qui dure le temps d’une vie.

Tableau de Francisco de Goya – « La rixe » - « Duel au gourdin »

Tableau de Francisco de Goya – « La rixe » - « Duel au gourdin »

      Vers 1820, Goya, lui, a peint un magnifique tableau représentant deux combattants se battant à coups de gourdin dans des sables mouvants… qui gagnera ? peut-on se demander ... C’est le troisième larron, la nature bien évidemment, elle aura toujours le dessus car le temps joue pour elle : il est déjà trop tard pour les deux furieux. En réalité, la voilà la véritable guerre mondiale perdue d’avance que nous menons depuis des millénaires ! Nous nous battons contre la nature depuis toujours en oubliant de vivre en bonne intelligence avec elle mais le plus souvent, c’est stupidement entre nous et à ce propos, ma première séance de judo au CREPS de Strasbourg fut l’une de ces leçons qui vous marquent au fer rouge.

      Avant que ne commence véritablement cette première séance de l’année, deux de mes camarades ceintures noires s’échauffaient tranquillement en souplesse, or, l’un d’eux risqua une « prise sacrifice» entraînant l’autre sur lui. Il ne se releva jamais, la dent de l’axis brisée. Totalement paralysé, il lui était impossible de respirer mais, quand on appuyait sur sa poitrine, il échappait dans un souffle : « je vais crever.. » et j’entends encore cette plainte désespérée. J’ai mis deux mois pour retourner sur le tatami. La mort absurde de votre semblable en pleine jeunesse éclatante, en pleine explosion de vie, vous bouleverse et vous condamne à ne plus être le même : en vivant l’absurde, vous l’ingérez définitivement.

      Comme dans un roman d’Agatha Christie, il fut le premier d’une incroyable série : nous étions de jeunes sportifs en pleine forme et en sept ans, sept copains sont morts, qui de rupture d’anévrisme, qui d’accident de voiture, qui d’électrocution, qui de chute de delta plane… Ces morts de jeunes hommes vigoureux sont autant absurdes que banales… Il suffit de comptabiliser le nombre de motards tués un lendemain de weekend ou de consulter le palmarès du Prix Darwin, les Darwin Awards, attribués forcément à titre posthume. Pour sa part, Tennessee William est mort tout violet pour avoir avalé un bouchon de collyre qu’il tentait de dévisser avec les dents… En moyenne, chaque année dans le monde, cent personnes s'étouffent avec leur stylo, les noix de coco font plus de morts que les requins et plus de personnes sont tuées par des ânes que dans des crashs aériens. L’absurde est autour de nous comme l’air que nous respirons. Pourquoi s’en offusquer ? Pourquoi chercher à justifier une chose qui EST même si nous ne la comprenons pas ? La vie EST, la mort aussi, l'une ne va pas sans l'autre, comme toutes  choses en ce monde: le bien avec le mal, le beau avec le laid, le mouvement avec l'immobilité, le minéral avec le vivant, et tutti avec quanti. Il n’y a rien à justifier, c’est ainsi et puis c’est tout…

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