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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 21 octobre 2018 jour de l'étranger

Denis Vallier

      « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »… Tel est l’incipit célèbre de « L’étranger ». Dans son roman, Albert Camus ne contredit pas les Mayas : en Meursault, son héros, il voit un type de passage ici-bas,  « un homme pauvre et nu, amoureux du soleil qui ne laisse pas d’ombres ». En effet, durant l'enterrement de sa mère, le soleil y joue un rôle important, tout comme lors du meurtre sur la plage : « J’ai dit rapidement, en mêlant un peu les mots et en me rendant compte de mon ridicule, que c’était à cause du soleil. ». On ne sort pas des énormités pareilles impunément : cela mène tout droit à la guillotine. Et pourtant, il ne mentait pas mais dans notre société, quand on ne pleure pas à l’enterrement de sa mère, on mérite la peine de mort. Le soleil est, absurdement mais fort logiquement, à la fois à l’origine de la vie et la cause de sa disparition. Qu’importe tout cela, c’est de peu d’importance car nul n’est irremplaçable : biffée de cette planète, l’histoire de l’esprit, auquel certains d’entre nous prétendent participer, continuera ailleurs.

      Alors, après tout ça, en essayant de garder ce monde terrien le plus propre possible pour nos enfants, « vivez si m'en croyez, n'attendez à demain : cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie » conseillait déjà sagement Ronsard qui avait tout compris. Nous passons nos heures ordinaires à mâcher le temps en tenant le crachoir. Observer cette urne, on n'y voit qu'un concentré d'énergie captif, rien ne peut s'échapper du goulot, obstrué par le dard mélancolique, le bouchon nihiliste. Le dépassement du nihilisme qui caractérise les temps modernes ne pourra surgir d'une croyance idéologique nouvelle, mais par l'œuvre de la pensée : il pourrait bien émerger d'une redéfinition radicale de l'autonomie individuelle et collective dans nos contrées. Le devenir de l'être se situe dans l'éternel présent de cette dialectique à redéfinir et non dans un « autre monde possible », objet de fantasmes, un idéal abstrait et prétendument plus vrai que le réel. Alors on traîne le crachoir et comme un Shadock de la vitalité, on pompe sur l'instinct de survie en répétant les mêmes réflexes, à bout de bras, de bout en bout, de bouche en bouche, de bouche à bouche, de baisers en baisers... « L’étranger », le pensif penseur, passif passant ou bien actif acteur, exige du souffle dans l'heure, le leurre aussi, le heurt souvent, l’horreur parfois.

Page du 21 octobre 2018 jour de l'étranger
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