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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 30 octobre 2018 jour d'Halloween.

Denis Vallier

      Oscar Wilde a vécu en cédant à la moindre de ses envies. « Le seul moyen de se débarrasser d’une tentation est d’y céder » se disait-il pour accabler un peu plus sa conscience malmenée. Il n’a pas fait de vieux os. Avec ce genre d’approche, soit on tombe, soit on fait un pas en arrière ; de toute façon, on ne peut marcher longtemps au bord du gouffre. Pour conserver son équilibre et avoir une chance de s’en sortir, il faut commencer par s’exercer. A l’occasion d’Halloween et de son folklore macabre, on commencera par un exercice simple et facile: « Imaginer que vous allez mourir ». Durée : 5 à 10 minutes. Matériel : aucun. Effet : léger.

      Nous pouvons toujours disparaître brusquement n’est-ce pas ? Imaginez donc, comme tant d’autres avant vous, que l’avion que vous allez prendre s’écrase en dépit des statistiques. Ou quand vous entamez un trajet en voiture après trois verres de vin même si vous conduisez très bien quand vous avez bu puisque vous savez éviter les autres types bourrés. Ou bien quand vous traversez la voie et que le train démarre sans crier gare. Vous pouvez également être tué sur le coup de klaxon par un autobus, un camion, une moto, voire un vélo, les engins de mort sont légion. D’ailleurs à notre époque de grande confusion où les chasseurs tentent d’imposer le port du casque lourd aux cyclistes, il ne faut pas confondre faire du vélo et aller à la selle car un accident de chasse est vite arrivé. Des accidents invraisemblables vous guettent partout, à chaque seconde, même pendant votre sieste ; ils engraissent les chaînes de télé et font le bonheur des Darwin Awards.

      Vous n'avez en fait aucune raison de cesser de redouter une mort proche. Si habituellement on écarte une telle hypothèse, ce n'est pas seulement en raison du désagrément qu'elle procure, c'est surtout parce que sa probabilité nous paraît très faible. À juste titre d’ailleurs. Nos chances de vivre encore dans une heure (et même demain) sont relativement fortes. Pourquoi, dès lors, nous soucier de cette improbable perspective ? L’ennui, c'est qu’à terme, notre décès est une certitude absolue, ce n’est qu’une question de temps. « Ni le jour ni l’heure », c'est entendu, mais inéluctable, sans exception. Même si elle est d’une grande banalité, imaginons donc notre propre disparition et sa nécessité pour fêter Halloween et rigoler un peu. Tentons de nous représenter notre agonie, notre cadavre, notre enterrement, le pourrissement de notre corps, notre squelette, le dispersement de nos atomes. N’est pas Pharaon qui veut, visualisons notre modeste tombe, les liquides immondes, infects. Sachez que vous ne verrez plus la lumière ni la rondeur du monde. Vous en aurez terminé à jamais avec les vents doux, les éclats de rire, les couleurs et les parfums. Vous ne saurez plus rien des chairs à caresser ou à mordre. Il est possible que ces idées vous chagrinent…

      Vous serez peut-être soulagé d'apprendre que ce malaise est absurde et, en fait, totalement dépourvu d’objet. La plupart du temps, les vaches qui elles ont tout compris, font semblant de ruminer alors que dans leur tête, elles chantent en rythme. Elles ont raison : dans ces ruminations morbides, nous, nouilles, nous nous supposons à la fois mort et vivant. Nous sommes morts, sinon nous ne serions ni enterrés ni en train de pourrir. En même temps, nous sommes toujours vivants, capables encore d'être affectés de sensations, d’émotions, éventuellement de dégoût. C'est là que se situe l’erreur. C'est dans notre tête bien présente, dans notre corps bien en vie, qu'existent ces représentations. Quand nous serons morts, elles ne seront plus. Il est impossible de s'imaginer mort : ce sera toujours une pensée de vivant. Notre imagination c’est de la vie. Même morbide, sépulcrale, effrayante, même pleine de toiles d'araignées, de chauves-souris et de cercueils qui volent, elle n’a, à proprement parler, aucun rapport avec la mort. Halloween en est l’antithèse : c’est un exorcisme qui exprime dans la dérision un trop plein de joie de vivre. L’humour noir est signe d’intelligence.

Page du 30 octobre 2018 jour d'Halloween.
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