Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 16 novembre 2018 jour de l'armoire aux possibles

Denis Vallier

      En arrière-plan, mes idées se heurtent, s’affrontent, s’étalent, se relèvent, montent et descendent… Avoir l’esprit d’escalier est vraiment épuisant. Et vas-y que je te creuse et que je te creuse et ma décharge de se remplir. C’est un puits sans fond mais je me fais aider, je ne suis pas tout seul, j’ai des copains… En approfondissant ensemble l’idée véhiculée par Minority Report  et pour répondre sacrément par anticipation à la problématique de ce film, Henri Bergson, visionnaire de génie et ami de longue date, m’a ouvert  en grand son « armoire aux possibles ». Pas plus tard qu’il y a un siècle et je m’en souviens comme si c’était hier, nous prenions tranquillement notre petit noir au Café des Beaux-Arts près de l’Académie Française et nous discutions cinéma en général et de ce film qui sortirait forcément un jour lointain en particulier. Nous fûmes interrompus par un journaliste qui lui demanda « Monsieur Bergson, vous qui êtes versé dans les lettres, pouvez-vous me dire quelle sera la grande tragédie de demain ? ». Il répondit : « Si je le savais, je l’écrirais… » et il prit alors conscience que la question du journaliste et sa propre réponse présupposaient que tout est déjà écrit et dans l’attente de trouver l’interprète correspondant à ce qui était déjà écrit… ce qui nous apparut, à l’un comme à l’autre, profondément stupide après coup. Au fond, cela revenait à dire que les Misérables étaient écrits depuis toujours avant même que Victor Hugo n’en ait eu l’ébauche d’une idée et que celui-ci n’a eu qu’à les transvaser. Ainsi, toute création future, littéraire ou autre, trouverait sa place dans une invraisemblable « armoire aux possibles », une bibliothèque universelle et éternelle, une sorte de fourretout gigantesque où il suffirait de tendre la main pour saisir les œuvres à venir et s’en approprier la paternité. Absurde ! Du coup, Bergson reposa sa tasse sur la table et ses pieds sur terre : pour lui, le possible n’est pas dans la réalité des choses mais il reste relatif à une certaine connaissance puisque ce n’est qu’une certaine illusion de la rétrospection comme il venait de s’en rendre compte. Ce n’est que rétrospectivement qu’on se le fabrique. Il rajouta que « le réel n’est pas un possible auquel on aurait transfusé de la vie et du sang », la réalité est pleine et entière, c’est une création imprévisible de nouveauté. Alors qu’à l’inverse, si l’on part du principe que le possible préexiste idéalement au réel et que le réel n’est que la réalisation d’un possible, à ce moment-là le temps n’intervient plus, on le renie : on ne donne plus de temps au temps, plus de création possible, tout est écrit et on insuffle ses idées à Philip K. Dick et à Spielberg pour faire ce film abracadabrant.

Illustration au mérite de Kohki.

Illustration au mérite de Kohki.

      Selon le constat de Bergson, le possible ne peut que succéder au réel une fois qu’il est advenu puisque c’est un effet rétroactif de notre pensée, de notre imagination ou d’un calcul de statistique avorté. Prétendre le contraire c’est être victime d’une illusion de plus. Minority Report n’est rien d’autre qu’un aimable divertissement sans aucun lien avec une quelconque réalité. On ne peut objectivement qu’être d’accord avec cette réflexion en apparence d’une solidité  rustique et de bon aloi, mais c’était avant que la physique quantique ne rebatte les cartes et ne vienne nous mettre la tête à l’envers… Depuis, on ne sait plus très bien qui fait quoi, ni où, ni quand mais une chose est sûre c’est que demain, Riri et moi, on se retrouvera à prendre notre café ensemble au même endroit et à la même heure !

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commentaires