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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 8 novembre 2018 jour du boiteux

Denis Vallier

      La vie est injuste : certains font preuve d’une santé insolente quand d’autres sont accablés par tous les maux. Les premiers vont courir tous les matins quand les autres doivent s’aliter. Mais j’ai une certitude : s’il est bon de prendre son temps et de jouir de l’instant, l’action est bénéfique préventivement et est un remède à nos maux. Six rots contre la toux suffisent à la soigner. On disparaît dans l’action bien plus sainement que dans les drogues dures mais le sevrage peut être aussi douloureux quand la vie vous l’impose. Depuis quinze jours il pleut sans discontinuer sur la belle Provence et pour conjurer le sort, je commence un peu tardivement à construire une arche. Si je veux garder la tête hors de l’eau malgré toutes ces inondations,  il me faudrait m’appuyer sur un protocole d'audace et d'action. Mais je me connais, je vais me retrouver à flotter au fil du courant… Mon manque de pugnacité me permet de décrire en creux le portrait de ce qu’est un homme responsable et efficace. L’efficacité consiste à cultiver un franc dégout pour l’inachevé mais cela m’est égal, je ne terminerai jamais cette arche.

      Objectivement, l’inachevé est un dévoreur d’énergie, un saboteur d’efficacité. L’accepter passivement comme je le fais sans problème, c’est comme laisser à l’ennemi l’occasion de s’infiltrer dans tes positions, de gagner du terrain. Bientôt, il se peut que toute action se trouve paralysée et je rigolerai moins. Chacun a sa manière d’être efficace et nous le sommes plus ou moins. Cependant, il est un dénominateur commun des hommes d’action, ceux qui « réussissent » : le dégoût, jusqu’à la hantise, de l’inachevé, et son corollaire : le goût, jusqu’à la jouissance d’aller au bout des choses. De plus, il faut peu d’arguments pour que l’homme d’action soit opérationnel et se lance dans l’aventure, c’est à ça qu’on le reconnait. Décidément, je ne serai jamais efficace.

      J’ai tendance à mépriser un peu vite ceux qui veulent réussir à tout prix, ceux qui n’hésitent pas à écrabouiller tous les orteils qui traînent, ceux qui font preuve d’une volonté inflexible et d’une ambition dévorante. Je crois qu’ils n’ont rien compris. Mais force est de constater que le premier des savoir-vivre, c’est le vouloir-être. J’admets volontiers que le jusqu’au-boutisme constitue une immense qualité s’il est l’expression d’une persévérance déterminée. Mais il est un immense défaut s’il est l’expression d’un entêtement capricieux. J’évite de confondre perfectionnisme et insatisfaction permanente. J’admire l’un et méprise l’autre. Qui persévère ne va pas à la pêche rigolent en douce les poissons… Quand on sait que quelque chose n’arrivera pas, on arrête d'espérer, sinon, on est simplet et on va s’acheter un ticket d’Euro Millions. Certains justifient leur impuissance, dans tous les sens du terme, par un don sublime, versé par le ciel sur leur grandeur illusoire mais qui jamais n'arrive ! Lorsque les douces illusions sont perdues et qu'il ne reste plus qu'un vide à la Bernard Tapie, les échecs sont difficilement acceptés et la leçon qu'on en tire nous fait rire à en mourir. D’ailleurs, au lieu d’en tirer des conclusions, certains préfèrent se tirer une balle. Utiliser pleinement son potentiel est autrement plus valorisant que d'espérer bêtement toute sa vie une révélation hypothétique ou en s’écrivant une success story, mais c'est aussi plus difficile.

      En allant un peu plus loin, être efficace ne signifie pas forcément aller toujours plus loin. Cela signifie être attentif et vigilant au moindre détour du sentier, être disponible aux appels de la vie et du monde qu’on appellera ouvertures, ou opportunités, ou occasions, ou aléas selon son état d’esprit. Et donc, être efficace, c’est aussi ne pas s’entêter, savoir changer de route si nécessaire, rebrousser chemin quand il le faut, prendre le plus souvent possible des chemins de traverse au lieu des autoroutes. Votre voyage ne doit pas nécessairement être organisé, il est même recommandé de se perdre en route : cela déclenche les surprises et vous ouvre aux autres et c’est là que vous commencez vraiment à voyager. Le succès n’est pas affaire de distance ou de proximité du but, mais de cheminement. Le succès n’est pas nécessairement au bout du chemin car il n’est pas défini, il est dans la démarche même. Éviter juste de boiter trop fort.

Page du 8 novembre 2018 jour du boiteux
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