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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 19 janvier 2019 jour des ramoneurs

Denis Vallier

      Depuis qu’ils sont en couleur, nos écrans sont devenus plus rouges que blancs : les crimes les plus sordides succèdent aux parties de jambes en l’air les plus torrides… mais ces images sont presque rassurantes : elles nous font voir le chaos qu’est notre vie projeté sur un écran avec une certaine distance. Si l’on a un tant soit peu d’humour, on en rit jaune pour ne pas en pleurer. Mais si l’on veut franchement se marrer, rien ne vaut les bons vieux films comiques en noir et blanc. Je peux voir en boucles « Laurel et Hardy, les deux ramoneurs » et à chaque fois pleurer de rire. On trouve toujours dans ces vieux films un élément déclencheur, souvent, il s’agit d’une figure d’autorité. C’est particulièrement le cas dans les films de Charlot. Quoi qu’il fasse, il se retrouve en conflit avec son « supérieur ». Aux Etats-Unis de l’époque, le cinéma était déjà une distraction populaire bon marché accessible aux petites gens et même aux plus défavorisés, les immigrés fraîchement débarqués. Eux qui avaient quitté (et pour certains avaient fui) la vieille Europe, ça les amusait de voir le monde sens dessus-dessous et les patrons ridiculisés. C’est là que le burlesque puise sa source au cinéma…

      Pendant que le public des salles obscures riait à gorge déployée, les intellectuels se demandent encore ce qu’il y a de rigolo à voir les autres se prendre des gamelles. Qui n’a jamais ri de voir quelqu’un s’étaler ou  lâcher un pet bruyant en public ?  Un de ceux qui a pris le rire très au sérieux fut Henry Bergson puisqu’il publia « Le Rire » en 1900. À le croire, on rit quand le clown s’étale de tout son long parce que, malgré notre bienveillance, malgré toute notre compassion et notre gentillesse, nous avons tous un désir primitif de voir les autres souffrir. Il y va peut-être un peu fort mais le fait est que de les voir souffrir nous rassure car justement, c’est à eux que le malheur arrive et pas à nous. Malgré toute notre culture, notre sollicitude, notre empathie, nous conservons un lointain fond de cruauté même s’il est bien enfoui : ce sont eux, les autres, qui sont dans l’embarras, eux qui tombent, eux qui ont des accidents, pas nous-même. On éprouve toujours un plaisir un brin pervers face aux malheurs des autres ; le rire est toujours une moquerie, on rit toujours de quelqu’un. On sait bien que le ridicule ne tue pas et même si on en a pris l’habitude, personne n’aime faire des erreurs ; cela nous vexe : nous savons très bien qu’elles nous mettent dans l’embarras. Et glisser, tomber, perdre l’équilibre ou la face, ce sont des erreurs et l’on rit, soulagé de ne pas être celui qui les commet. De toute façon que l’on soit saint ou pervers, on rit d’abord, ensuite et seulement ensuite, on peut s’inquiéter et se poser des questions. Et si l’on parvient à rire de soi en se relevant lorsqu’on se prend les pieds dans le tapis, c’est que l’on a réussi à se placer en spectateur extérieur de sa propre maladresse : c’est l’humour qui nous sauve la mise.

Page du 19 janvier 2019 jour des ramoneurs
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