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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 19 mars 2019 jour en mouvement perpétuel.

Denis Vallier

Dès leur origine, les êtres humains n’ont jamais tenu en place. Ils se sont propagés de proche en proche en s’étalant comme une moisissure à la surface du globe. Nous n’avons jamais cessé et nous continuons de nos jours en risquant notre vie en Méditerranée. Nous nous sommes déguisés en citadins et, hors de la survie, voyager est devenu un luxe, mais l’être humain n’est pas fait pour vivre entre quatre murs qui ne peuvent devenir que les murs de son tombeau. C’est pourquoi il fonce souvent à tombeaux ouverts et parfois tombe dedans. L’être humain est génétiquement fait pour aller voir ailleurs s’il y est et sûrement pas pour n’habiter qu’une seule culture, une seule langue. Les barrières des langues, en fer pour l’allemand, en terre cuite pour le chinois, en chewing-gum pour l’anglais, sont faites pour être sautées. Il y a toujours moyen avec un peu de souplesse et c’est plus facile quand on est jeune. Le voyage nous libère, il lève ces barrières de la langue mais aussi celles de notre zone de confort qui restreint nos déplacements à notre univers connu. Il libère de l’enfermement dans l’illusion des satisfactions immédiates, des conditionnements sournois, des habitudes sclérosantes.  « L'illusion est nécessaire pour déguiser le vide à l'intérieur » diagnostiquait Arthur Erickson, digne successeur du Corbusier. Le voyage ne sert pas à simplement dissiper nos illusions, il sert à nous transformer en profondeur, à combler un vide. On croit que l'on va faire un voyage, mais c'est lui qui nous aspire : le voyage nous défait et nous refait à neuf… Le voyage, ce « lent professeur » cher à cet inlassable marcheur du désert qu’était Théodore Monod, nous enseigne que lorsque les barrières sont levées ne subsiste que ce que nous avons en commun que l’on soit pygmée du Gabon ou citadin newyorkais : notre commune humanité.

      Effectivement, à pieds, à cheval, en moto, en voiture, en camping-car, en train, en voilier, le voyage ne vaut que s’il porte un risque au cœur de l’être, celui de changer. Tout autre voyage, en particulier une croisière sur une abomination polluante et climatisée ou un transport aérien en bétaillère, peut être une aimable distraction, une évasion fiscale, mais ne mérite pas son bilan carbone. Mieux vaut se sentir mal à l’aise avant de l’entreprendre, ressentir un manque : c’est comme cela qu’on a une chance de progresser, d’évoluer, de se « déplacer » réellement avant de revenir. Finalement, on rentre toujours chez soi si l’on ne s’appelle pas Bernard Moitessier, Nicolas Bouvier ou Rimbaud. Enfant prodigue à défaut d’être prodige, on retourne toujours auprès de son père. Les choses paraissent toujours plus douces quand on y repense plus tard et quand on s’en trouve éloigné. On ne peut pas vivre au passé (- hors de son temps, c’est le perdre), mais on a le droit d’aimer son passé, c’est une garantie contre la bêtise et l’irresponsabilité. La nostalgie, le mal du pays, est une souffrance qui nous invite à retourner à notre point de départ, vient ensuite le plaisir d'arriver. L’important, c’est de revenir avec un peu de l’autre.

Page du 19 mars 2019 jour en mouvement perpétuel.
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