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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 14 juin 2019 jour de peur et de vertige.

Denis Vallier

      Ce n’est sans doute pas tous les jours, mais si vous avez l’occasion de demander à quelqu’un de très, très riche au point de ne pas savoir quoi faire de son argent, pourquoi il en veut toujours plus, après un petit temps de réflexion, il vous répondra le plus sérieusement du monde que c’est "par peur de manquer"… - Manquer de quoi ? - De tout… Ce n’est pas nouveau. Depuis bien avant que notre espèce adopte la station verticale, nous avons eu peur et c’est grâce à cette peur que l’on peut se retrouver ici à en parler. La peur et l’adrénaline ne nous ont pas quittés depuis l’époque où nous craignions de dormir pour ne pas servir de repas à une panthère ou un lion des cavernes malgré nos petits ongles et nos petites dents pour nous défendre. Entre temps, nous nous sommes équipés de bombes atomiques pour nous en protéger et nous avons pris notre revanche mais la peur est toujours là, archaïque, sous-jacente, affleurant la surface sous chacune de nos décisions, derrière chacun de nos gestes même quand nous décidons d’aller faire la sieste. Il nous arrive même de l’aimer comme on aime la vie.

      Pour certains, la paresse est un droit, pour d’autres, c’est la mère de tous les vices. A chacun son point de vue. En tout cas, elle pourrait être comprise comme un effet de la peur que l’on peut éprouver face à l’ampleur invraisemblable de la tâche à venir et à la vanité de ce que l’on sait, de ce que l’on voit, de ce que l’on pressent de toute activité humaine que l’on peut très bien assimiler à une agitation stérile et absurde. Pourquoi devrions-nous obligatoirement joindre l’inutile au désagréable ? Ce serait ainsi la peur qui pousserait le célèbre Oblomov russe à rester couché, mais on pourrait objecter qu’à l’inverse, c’est la peur et l’adrénaline qui nous poussent à agir et à fabriquer des bombes atomiques : dans l’incapacité d’apprécier notre propre nature, la peur du vide nous pousserait alors à le combler. Combien de nouveaux retraités saisis de vertige tombent-ils dans la dépression en enfilant leurs pantoufles ? La peur, frein ou moteur ?

      De son côté, Aragon a écrit "Aurélien", un roman ambigu exprimant pleinement le temps perdu et l’inquiétude face à une vie vouée à l’inutile. Bérénice rate plusieurs de leurs rendez-vous laissant Aurélien, un "athlète mondain", rentier lymphatique et inactif, en prise directe avec le vide de tout ce temps perdu sorti tout droit de la pièce d’Oblomov ou de la chanson de Bécaud… "Et maintenant, que vais-je faire de tout ce temps que sera ma vie ? De tous ces gens qui m’indiffèrent maintenant que tu es partie ?". En l’attendant, Aurélien, range sa chambre et frotte, frotte, en vrai maniaque glissant ainsi petit à petit la main à la pâte dans une activité qui le rapprochera du monde du travail et de la distraction. Cela lui mettra le pied à l’étrier mettant fin ainsi à son oisiveté mais aussi à ce qu’il était vraiment, un amoureux dans l’espérance de la félicité… Il finit toujours par se passer quelque chose en attendant Godot même si c’est absurde.

Faim du Monde.

Faim du Monde.

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