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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 24 juillet 2019 jour réduit à néant.

Denis Vallier

      C’est très curieux les mots, les uns vous enchantent, d’autres vous effraient, certains peuvent même vous rendre fou ! Si je dis "souris !" lorsque je prends ma femme en photo, elle se sauve en hurlant. Pour moi, ce serait plutôt le mot "néant", il me hante et me poursuit... Lors de l’annonce de la disparition d’un être cher ou bien à la suite d’une très grosse déception par rapport à une attente surtout si elle est amoureuse ou de l’ordre de l’amitié, j’ai le sentiment que ce mot m’envahit et prend toute la place, qu’il se juxtapose à la réalité, je me retrouve moins que rien, anéanti… Mais si le néant c’est ce qui n’existe pas, y penser ou en parler, c'est déjà lui donner une  sorte de consistance… tout comme on ne peut parler du silence sans le détruire, on ne peut donc raisonner à son sujet sans être dans l’erreur. Le seul moyen de s’en sortir sera de biaiser et je connais de grands biaiseurs : l’autre jour, fatigué de siester devant le Tour de France, je décidai pour biaiser un petit coup d’ouvrir un livre de poésie au hasard et de lire à voix haute quelques vers comme on jouerait du pipeau… Mon index tomba sur Une saison en Enfer de Rimbaud. Souriant par avance (- Rimbaud, c’est du lourd !), je l’ouvris et, m….ince ! C’était de la prose… j’avais oublié ce détail, je ne m’y attendais vraiment pas. En tout cas, ce n’était pas du tout ce que je voulais, j’avais besoin d’autre chose. Dépité, je me suis dit : "Ah ben ça alors ! Ce ne sont pas des vers !" et, avec le sentiment de m’être fait berner par mon index, Rimbaud et l’entière création, je recasai tant bien que mal Rimbaud entre ses compagnons compressés qui en avaient profité pour prendre leurs aises (- Je suis certain que vous compatissez sans réserve à ce drame particulièrement cruel !).

      Or, en étant rigoureux, je n’avais pas constaté qu’une absence de vers puisque j’avais bien aperçu quelque chose de grande valeur (- la prose ou les vers libres de Rimbaud, ce n’est quand même pas rien…) mais j’ai traduit cette prose que m’offrait mon coup d’œil dans la langue de mon espérance : elle ne voulait voir que des vers sinon rien. Il en va de même pour le "néant" : nous appelons "néant", non pas l’inconcevable rien absolu au-delà de nos capacités de représentation, mais l’effet que produit sur nous une attente déçue. Par exemple, comme nous ne parvenons pas à nous représenter "dans quoi" s’étend l’univers, nous en faisons un néant à notre portée. Le néant est en nous, aurait-il des degrés ? Ne serait-il pas absolument absence et silence ? Toujours est-il que plus l’attente est forte, plus la sensation que produit le néant nous marque au fer rouge. Le néant n’est qu’un peu de temps perdu à vivre pour rien, un amour envolé, un bateau échoué au milieu de nulle part, une déception, celle qui nous saisit quand on s’attend à trouver quelque chose quelque part et que cette chose n’y est pas. C’est la même déception absurde et hebdomadaire que celle du parieur d’Euromillion. Il mise naïvement trop gros sur l’avenir et paye chaque semaine l’impôt sur sa connerie. L’échec le réduit à néant mais malgré tout, il se regonfle très vite en se disant que ce sera pour la prochaine fois. Comme quoi le néant n’a rien de définitif.

(Illustration due au surréalisme de Gilbert Garcin)

(Illustration due au surréalisme de Gilbert Garcin)

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