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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 31 juillet 2019 jour obèse.

Denis Vallier

      A l’image d’un Nougaro sensible à l’accent fleuri, "sur l’écran noir de mes nuits blanches, moi je me fais du cinéma". Y défilent des visages ayant parfois perdu leur nom, des scènes marquantes de ma vie, des épisodes douloureux ou au contraire fort joyeux… Si parfois, les images sautillent comme dans les vieux films muets et même disparaissent à jamais en brûlant et fondant comme les vieilles pellicules, je garde au ventre une bonne, épaisse, chaude et sûre lenteur qu’un appétit gargantuesque gave de tout ce qui s’assimile. Elle doit être l'âme de la sagesse, dans un temps intérieur plus patient que l’autre à l’extérieur, qui retient quelque chose de l'éternité et participe à l’expansion de l’univers quand se dilate ma rate... En vieillissant et en prenant du poids, j’ai franchi le pas entre Dionysos et Bouddha. La sagesse est en général bien portante, joyeuse et souriante : qui peut imaginer un Bouddha squelettique ? Allez le planter sur une croix ! Il a fallu cette époque sinistre et morose où on ne sait plus vivre pour que des corps d’anorexiques deviennent des critères de beauté.

      Les intestins et les neurones sont issus des mêmes cellules embryonnaires… vu ce qu’on fait du principal, nous avons bien besoin d’un cerveau d’appoint aussi important que celui d’un chat dans nos entrailles et cela me rassure de ne plus avoir le ventre plat. Le Gargantua de Rabelais en avait un ventre démesuré : il correspondait à un appétit de vivre presqu’équivalent à celui de notre Depardieu international. Il fallait le lait de dix-huit-mille vaches pour nourrir le bambin, j’exagère à peine. Mauvais gosse mal élevé il reçut pour rectifier le tir une éducation prodigieuse et idéale en rapport à sa démesure, une merveille d’équilibre et de richesse que n’aurait pas reniée Érasme ce qui lui permit plus tard de fonder l’abbaye de Thélème : "Fais ce que voudras" pouvait-on lire au fronton… Un lieu un brin élitiste mais où des personnes de qualité vivaient en harmonie sans aucune contrainte car elles n’en avaient pas besoin… c’est la première utopie de notre littérature, une anarchie luxueuse, une jetset vertueuse. Ah, on en rit de ces utopistes, de ces rêveurs, ces clowns qui nous présentent leur miroir grossissant et déformant où l’on compte nos points noirs sur nos pifs impressionnants. On s’en moque mais de quel droit ? On va jusqu’à les insulter mais au nom de quoi ? Au nom de notre bon droit, de la raison, mais de quelle raison ?  Celle des gens raisonnables, des braves gens qui veulent vivre vieux confortablement sans le moindre risque, des gens rationnels, matérialistes, pragmatiques, celle des prudents à particules fixes, mais aussi des pissefroids, des pètesecs, de ceux qui ont le petit doigt sur la couture du pantalon. Bref, la raison de tous ceux à qui l’on doit la situation où nous nous trouvons… Tout est relatif affirmait Einstein, sauf la connerie des péremptoires qui elle, est absolue.

      L’excès d’un Gargantua ou d’un Depardieu dont nous nous moquons, n’est pas forcément un déséquilibre, il peut même être salutaire et bénéfique selon l’époque : comment pourrait-il y avoir trop d’amour, trop de bonté, trop de joie, de sérénité, d’intelligence, de générosité, trop de tolérance ? Depardieu n’est pas gros, il a de l’estomac : il confiait il y a peu à son copain Houellebecq que son médecin lui avait dit qu’il a de "gros organes", un gros foie, un gros estomac, un gros cœur… il vit sa démesure en proportion, que voulez-vous ! Tout comme notre société… Nous éclatons d’obésité et d’obscénité. Ces trois-là expriment le même plaisir non dissimilé et intemporel de renverser la table rejoignant les Diderot, les Sade et autres Bukowski. Mais dans un monde devenu chaotique, où l’absurde se dispute avec la bêtise, la cohérence et la raison ne sont plus des nécessités, elles peuvent même virer à l’handicap quand l’excès devient la norme…demandez aux adversaires de Trump ou de Boris Johnson ce qu’ils en pensent… l’homme est ainsi fait qu’il lui faudra toujours une grande claque dans le dos pour avancer. Elle est peut-être pour bientôt, qu’on se le dise !

Page du 31 juillet 2019 jour obèse.
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