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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 17 mars 2020 jour de si peu d'imagination...

Denis Vallier

      Le 20 ème siècle a vu le pire et le meilleur, mais en tout cas, il a été, et de loin, le plus sanglant de notre Histoire. Avec les moyens dont nous disposons actuellement, la question du mal change de nature. Il évolue lui aussi : ce n’est plus le mal dont Dostoïevski a souffert si intensément. Même des années plus tard, il pouvait se représenter l’attente équivoque du peloton d’exécution qui allait le fusiller, la bouche des canons pointés sur lui, les tensions des doigts sur les détentes. On a cru un moment qu’après quelques guerres, une demi-douzaine de génocides, plusieurs milliers d’attentats, on avait enfin trouvé des réponses aux questions que pose le mal mais entre-temps les questions ont changé… De nos jours, nous avons perdu la main et la raison. Ce qui peut advenir est devenu inimaginable : la nature du mal s’est enrichie d’une composante mécanique et numérique que nous ne maîtrisons pas. Nous manquons d’imagination pour nous le représenter, nous y préparer et nous y opposer. Le mal est enfoui dans des programmes informatiques, des algorithmes qui nous espionnent, collectent nos données, font des prédictions statistiques à l’échelle planétaire en temps réel, qui évaluent les menaces potentielles de tout ordre en direct, commandent entre autres des milliers et des milliers de transactions financières chaque milliseconde. Ces golems peuvent tout aussi bien s’emballer sans raison apparente et provoquer une crise majeure avant qu’on ne réalise ce qui nous arrive. Le mal est dans des programmes qui peuvent produire des réponses automatiques intempestives à une variation inattendue du cours du pétrole ou au déclenchement d’un missile tout ce qu’il y a d’ordinaire. L’horreur a changé d’échelle, elle est devenue potentiellement si énorme qu’elle dépasse nos capacités au point qu’une épidémie de grippe aviaire ou de coronavirus nous inquiète beaucoup plus que la perspective que tous les missiles nucléaires se déclenchent en série automatiquement, que les variations climatiques détruisent en masse notre avenir ou que l’extinction de masse de la biodiversité que nous avons provoquée nous laisse seuls sur terre. Nos représentations d’un tel cataclysme nucléaire ne peuvent qu’être enfantines, on ne peut que s’imaginer, vue de l’espace, une planète où germent d’un seul coup des milliers de champignons alors qu’on serait, en fait, fugitivement, au centre d’un soleil... Ce n’est pas dans nos habitudes et nous manquons effectivement d’imagination tout comme nous avons du mal à réaliser les conséquences de notre folie économique et financière ainsi que de nos habitudes de consommation et de nos actes au quotidien.

      L’imagination nous transporte souvent vers des mondes qui n'ont jamais été, mais sans elle nous n’irions nulle part. Il ne faut quand même pas attendre l’apocalypse ou la nuit nucléaire pour réussir à penser... la chouette de Minerve y laisserait quelques plumes. Il conviendrait de penser la nuit et de redonner sa place à l’imagination, elle nous permettrait de reconquérir les territoires abandonnés par la raison. Devant des problèmes qu’elle ne sait résoudre, le travail de la raison n’est pas de dissiper l’imagination, mais au contraire de s’effacer devant elle et de la réhabiliter. L’éducation de la raison ne suffit pas, il nous faut impérativement éduquer tout autant la sensibilité de nos enfants et vite… particulièrement au pays si paradoxal de Descartes.

(Illustration par Nick Brandt)...

(Illustration par Nick Brandt)...

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