Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 23 juillet 2020 jour renversant...

Denis Vallier

      L’amour est parait-il un oiseau rebelle qui se moque des convenances et des normes sociales : dans les romans et les opéras, on ne tombe jamais amoureux de la personne qu’il faudrait socialement ou bien si cela arrive, ce n’est pas pour la bonne raison que cela se produit. Mais, il y a-t-il une bonne raison ?  L’amour est fou au sens propre comme au sens surréaliste du terme : c’est une magie, une illumination, une création, une invention… Chagall a parfaitement illustré ce surgissement de l’étrange et de la magie dans le quotidien par "l’Anniversaire", un curieux tableau peint en 1915: dans un décor ordinaire mais très coloré on y savoure le baiser d’une sorte d’homme-serpent ondulant et renversant s’échappant à la pesanteur et à toute logique. Outre ce baiser, le centre lumineux du tableau est un bouquet magique auto-éclairant qui illumine l’ensemble. Sans doute a-t-il voulu traduire ainsi que l’amour fou n’est pas en contradiction avec le quotidien mais qu’il s’y inscrit en le chamboulant cul par-dessus tête.

      Sous cet angle bizarre, il nous met en correspondance directe avec le céleste et l’infini : le transport amoureux devient ainsi un moyen de locomotion respectueux de l’environnement à la portée de toutes les bourses, le premier à s’affranchir de la gravité par sa propre énergie pour nous conduire, seuls au monde, dans une "érosphère" hors du temps et de l’espace. Chagall (- en tout cas son tableau) signifie à mes yeux que cette érosphère n’est pas transcendante mais qu’elle est l’affirmation d’un quotidien déterminé : c’est un remariage de chaque jour au milieu de tous les ingrédients de la routine habituelle avec son lot de rituels et d’envies qui se fanent, automne monotone, parfait "tue l’amour" en général…

      À l’intérieur de l’ennui ordinaire, deux êtres, dont un homme dont les bras lui sont tombés, ré enchantent leur petit monde renversé par leur joie extrême, leur vitalité rayonnante, leur enthousiasme juvénile… voilà superbement illustré ce qui est réellement fou dans l’amour. Chagall a également illustré le "Cantique des cantiques", le plus poétique des livres de la Bible et qui fait allusion à la sensualité de l’échange entre un homme et une femme. Il doit ici être pris à la lettre : "qu’il me baise des baisers de sa bouche car tes baisers sont meilleurs que le vin "… c’est suffisant, ses lèvres vous soulèvent et vous emportent même si "baiser" peut être compris dans un autre sens. Qu’ils l’aient lu ou pas, les amoureux rejoignent également Spinoza pour qui l’amour est "une joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure" en l’occurrence ici l’être aimé. La joie est un état de grâce, mais elle ne doit pas être comprise comme un moyen de tourner le dos à ce que l’existence a de médiocre. Au contraire, elle permet de l’affronter et de l’affirmer au profit d’un amour véritable et persistant ce qui implique qu’aimer, c’est aussi se donner pas mal de mal. La joie ne nous sort pas de la douleur et de la difficulté comme on aurait tendance à le désirer et à se l’imaginer, elle nous permet, comme pourrait le suggérer ce tableau, d’en assumer toutes les épreuves sous une autre perspective.

L'Anniversaire peint par Chagall en 1915...

L'Anniversaire peint par Chagall en 1915...

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commentaires