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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 17 novembre 2020 jour du cancrelat...

Denis Vallier

« Amour m’a tuer »… Le monde est si cruel, du moins ce qu’on en a fait… Ils sont tristes toujours, ces bouquets asséchés par hier arrosés… Les amours malheureuses parmi-nous sont légions. Par ici, bien avant Ruy Blas et Victor Hugo les vers de terre s'énamourent des étoiles, c’est pour cela que les lucioles tentent leur chance et clignotent à qui mieux mieux. Et là, les petits oiseaux et les petits poissons s’aiment d’amour tendre… mais… comment s’y prendre ? Ailleurs encore, les princesses embrassent à bouche que veux-tu toutes les grenouilles de passage. Tout le bestiaire pourrait y passer tant c’est ordinaire… malgré tout, oyez braves gens, l’étonnante complainte de l'âme meurtrie d’un de ces désespérés qui me fut contée pas plus tard que cette nuit par un mien ami cancrelat, victime, comme tant d’autres, des flèches de Cupidon.

Les cancrelats sont discrets mais planétaires, c’est de grande renommée. La mienne bestiole voulut visiter un sien cousin à l’autre bout du monde. Ce triste sire avait l’âme voyageuse : il embarqua dans les soutes d’un cargo et son périple homérique le mena en lointaines contrées que l'illustre Colomb nomma indument "Indes". Ce ne fut guère une bonne idée mais comment s’imaginer la suite ?  Il eut à subir outrages abominables et peines les plus profondes et quand je dis "profondes", le mot est plutôt faible… Il y fit connaissance d'une grosse bête adorable au cuir plutôt épais, un tapir pour ne point la nommer, ou plutôt une de ces dames de bonne famille Tapiridé, une sorte de grosse truie mâtinée d’éléphant qui aurait réussi. Notre héros de cancrelat se plut à admirer ses charmes exotiques qui trompent un peu son monde, il y perdit la tête et tout ce qui s’en suit. Il me faut ici vous dépeindre l'étrange élue de son cœur qui fit tomber prudence et sagesse à notre pauvre blatte : courtaude de jambes qu'elle avait au nombre de quatre, tête massive, front plat, groin préhensile et toujours en mouvement, fétide haleine. Rien de bien folichon en somme, pas de quoi tomber raide mais il n’est en cette affaire nulle question de raison… c'était, comme il se dit, "beauté originale" qui loin d'effarer notre nomade, le jeta malgré tout dans les affres d'un auguste mal, doux et cruel, une langueur, ma foi, des plus banales.

Il se décida donc à déclarer sa flamme à ladite bestiole et choisit pour lutrin le mode poétique qui ne manquerait point, selon son avis, de foudroyer le cœur de l'objet de son drame. Faisant face à l'Amour et sa masse imposante, tremblant de ses antennes, il se dressa sous le museau mâchouillant, et, debout sur deux pattes, de sa voix si fluette qu'il tentait de rendre virile, ses vers enamourés, bravement, il déclama... Las ! Cruel destin…Il n'eut pas loisir de toucher à la fin car une trompe pantagruélique le happa par erreur. L'indifférente bête à la vue plutôt basse fut sourde à la voix étranglée qui piaillait encore ses alexandrins pendant qu’elle le mâchait. Englouti en une bouchée, le baladin fit séjour d'inconfort dans les sombres entrailles de sa dulcinée dont, courageusement, il fit la traversée en chevauchant tant bien que mal un étron des plus repoussants tout en maudissant son sort et l’entière création. Tel un Jonas du pauvre réchappant de justesse au funeste destin, notre miraculé ne trouva guère consolation d'avoir, dans son malheur, pu perforer allègrement le fion de l’hôtesse insensible qui lui causa si mortel chagrin. Passons donc les détails, blessé dans son honneur, puant comme un rat mort, le penaud cancrelat s'en fut le cœur brisé, retrouver mon bureau et, vous le pensez bien, jamais ne revit la belle distraite. Si triste histoire et si triste fin, mais si fréquente et tellement, tellement ordinaire… depuis, précédé à jamais de son fécal parfum, il nous tient aimable compagnie mais empeste la maison de la cave au grenier…

Dessin (- peut-être) de Vicente Yannick ou bien de Pascal Champion ?...

Dessin (- peut-être) de Vicente Yannick ou bien de Pascal Champion ?...

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