Page du 17 avril 2021 jour sur le fleuve...
On a les chefs que l’on mérite et les héros que l’on se donne. Nous sommes toujours à la recherche de quelque chose ou de quelqu’un… Nous nous racontons des histoires sans raison et on s’invente des choses, mais nous ne faisons que troubler notre reflet dans l’eau qui s’enfuit déjà, un léger sillage en surface et quelques remous que le fleuve efface aussi vite… c’est tout ! Se raconter une histoire, c’est déjà s’en venger… Quelle sorte d’histoire ? Toujours la même : notre impuissance à changer le cours des choses, l’inexorable, notre foutue peur du changement ou quelque chose comme ça... Et on finit par croire à nos propres histoires. Les Grecs de l’Antiquité croyaient à la réalité des héros qu’Homère avait imaginés, ils les adoraient comme des dieux et vouaient un culte à leur violence sauvage comme j’adorais Rintintin quand j’étais petit (- pour les nouvelles générations, c’était un chien de la Cavalerie américaine qui résolvait avec courage et intelligence tous leurs problèmes). J’ai d’ailleurs été scandalisé qu’on enterre ce héros lorrain dans un cimetière pour chien, je l’aurais voulu au Panthéon.
Après Thomas d’Aquin qui a réhabilité la sagesse des philosophes grecs, c’est la Renaissance qui nous les a réintroduits dans notre culture et qui en ont faits les piliers de nos racines : depuis, nous avons un pied en Grèce et l’autre à Jérusalem… C’était courageux car les Chrétiens de l’époque considéraient ces philosophes comme des aveugles puisqu’ils n’avaient pas bénéficié de l’éclairage du Christ. Ces héros en valaient d’autres… Les nôtres sont des gamins qui tapent dans des ballons, des rappeurs qui se filent des beignes ou les Marvel’s Avengers qui nous offrent une nouvelle mythologie de pacotille.... Nos écrans sont tant submergés de héros en tout genre que ce mot si galvaudé est totalement déprécié par des flots d’argent et d’hémoglobine. À la fin de l’Iliade, le fleuve Scamandre, lui-même, se plaint de devoir charrier tant de cadavres saignés par Achille, il craint d’en être submergé. Eh bien pour nous, c’est fait…
Par contre, ce qu’a réalisé Arnaud Beltrame en 2018 à Trèbes (- ce gendarme qui s’est opposé au prix de sa vie à mains nues à un terroriste armé) est d’un autre ordre : par son sacrifice qui a permis de sauver de nombreuses vies, il a répondu au suicide de son adversaire qui ne visait qu’à entraîner toujours plus de morts. À la mort des armes, il a opposé la vie de ses mains et, par ce geste hautement symbolique, il est devenu l’unité de mesure qui permet de comparer deux absolus inconciliables que tout oppose. Notre Histoire a beau s’agrandir sans cesse, elle est toujours une petite histoire en marche comme autant de petits ruisseaux qui forment un fleuve. Les uns sont purs, les autres très sales… mais que son eau serait claire s’il charriait un peu moins de sang et de boue !