Page du 23 janvier 2022, jour sceptique...

Au cours d’un repas festif et arrosé, un ami charitable et bienveillant m’a classé dans la catégorie des sceptiques poids lourds… sceptique, comme une fosse… je ne veux pas le contrarier, mais j’en doute. Se dire sceptique, croyant, athée, se dire chrétien, philosophe, spinoziste, kantien, se dire humaniste, rebelle, anarchiste, se dire unique, correspond à tant de schémas préétablis par des compréhensions si sommaires, si mal analysées que je préfère souvent dire que je ne suis rien du tout, même pas normal. On a si vite l'occasion d'étiqueter des bouteilles sans savoir réellement ce qu’il y a dedans... Combien de grands crus ont tourné au vinaigre ? Moi, je ne crois que ce que je bois… mais s’il y a un Dieu pour les ivrognes, je me vois contraint à l’abstinence…

De toute façon, il n’y a pas plus de véritables athées qu’il n’y a d’authentiques croyants, d’anarchistes intégral que de réacs absolus, il y a toujours une zone d’ombre entre le jour et la nuit. Soyons donc en désaccord, mais pas tant que cela : combien de non croyants font quand même des prières en douce ? Ça ne mange pas de pain... De plus, les athées non-chrétiens ne s’entendent guère avec les athées non-musulmans. D’un autre côté, combien de curés ou de papes ont douté de Dieu après une vie d’abstinence ? L’abstinence est une excellente règle, mais seulement si elle est suivie avec modération. Jean XII, une des pires caricatures de chef religieux qui fut pape à l'âge de 18 ans, l’avait compris d’emblée mais ce ne fut pas sans danger, il ne s’est pas relevé d’une raclée administrée par un mari jaloux.…

Pour parer les coups bas, le croyant riposte que l’athéisme est une religion comme les autres, que le sceptique n’est qu’un croyant qui croit ne pas croire, un sectaire douteux. Ah bon ?… on fait dans l'anti-sceptique ou le faux septique maintenant ? Classer le sceptique comme sectaire est douteux : il ne fait que prôner la suspension du jugement, c’est un empiriste. Le sectaire a pour acquis un ensemble strictement borné, tandis que le sceptique a pour acquis qu'il n'y a pas de limite. Le doute est avant tout une protection pour éviter les contagions et le meilleur vaccin contre l'infection tout autant que l’asepsie des idées. Quant au scepticisme, il est le doute organisé et réfléchi : il doute de lui-même en premier.

Que l’on me définisse comme sceptique ne me dérange donc guère mais je fuirai toujours toute étiquette. Si je suis sceptique ce sera en évitant de tomber dans les fosses de l’hygiénisme du scepticisme philosophique grec ou dans la spirale sans fond du solipsisme. Je continuerai toujours à sauter à pieds joints dans les flaques d’eau boueuse, je tournerai toujours la terre glaise à pleines "mains sales"… On imagine guère Sartre avec les ongles noirs mais "Les Justes" de Camus peuvent-ils semer et faire fructifier leurs idées généreuses et pures en gardant les mains propres ? Entre ombre et lumière, la sagesse n'est-elle pas aussi une pratique un peu salissante pour le poète septique et donc empli d’une vie riche et étrange ? Je n’en doute pas…