Page du 2 février 2022 jour d'acceptation...
C’est beau d’être jeune… Par définition, la jeunesse est immortelle, saturée d’hormones et d’envies, elle a toute la vie devant elle. Mais dès que l’on s’en s’éloigne, nous prenons cruellement conscience de notre destinée d'êtres finis, voués à la mort et à la dispersion. Il en résulte le tragique de la condition humaine et sa révolte contre l’absurdité. Cette prise de conscience n'est, précisément tragique que relativement au fantasme d’une vie se prolongeant éternellement dans un ailleurs idyllique, dans une béatitude céleste : il vous empêche de vivre sur terre. Sans cette poudre aux yeux, nous acceptons simplement de nous inscrire dans un recyclage naturel assez peu glamour il est vrai. Mais l’acceptation n’est pas renoncement ni résignation, elle ouvre grand portes et fenêtres sur le monde et les autres. Les monothéismes promettant le paradis sont apparus chez des peuples enfermés, esclaves (- ou sous domination) pour qui la recherche du bonheur sur terre en en profitant le plus possible n’était pas légitime. Les premiers Juifs monothéistes à qui l’on doit le Dieu unique qui multiplie nos divisions, étaient des Égyptiens et ont dû fuir les persécutions à la recherche d’un point de chute… Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ont mis du temps à le trouver. Cet écartèlement entre les réalités de la vie d’ici-bas et l’espoir d’un monde meilleur est une véritable tragédie.
Mais depuis toujours, le tragique prête plus à sourire qu’à pleurer : nous éclatons de rire en voyant le voisin s’étaler de tout son long parce que ce n’est pas à nous que cela arrive. Eschyle le dramaturge considéré comme le père de la tragédie grecque est mort de manière plus saugrenue que dramatique… à ce qu’on en sait, il se serait pris contre toute probabilité, une tortue lâchée par un rapace sur le crâne alors qu'il se promenait en 456 av. J.-C. dans les paysages siciliens. Certains rapaces lâchent effectivement leurs proies de haut afin de pouvoir les dévorer plus facilement une fois qu'elles sont éclatées au sol, mais l’histoire ne dit pas si la tortue a survécu. Par contre, Eschyle n’a rien vu venir (- allez prévoir une histoire pareille !) et, si c’est une mort plus absurde que la moyenne, elle fut rapide et radicale. En fait, il a eu de la chance, mieux vaut que les choses ne traînent pas en longueur… si vous voyez apparaître une lumière blanche au bout du tunnel, méfiez-vous, c'est probablement un train qui arrive... Écartez donc cet espoir ridicule d’un au-delà et s’effondrera le tragique de l’existence. Il vous en restera sa poésie pour en sourire. À l’espérance niaise et stérile, je préfère l’acceptation de notre condition et sa joie de vivre.
L’acceptation est un cheminement personnel qui vient de l’intérieur, mais tout le monde n’est pas apte à supporter une vie sans la drogue des illusions, certains ne peuvent s’en sortir sans avoir recours à la pensée magique. Pour leur regonfler le moral, on leur prêche à longueur de journée l’optimisme, la positivité, la réalisation de soi dans la joie et la bonne humeur. Sous perfusion d’images de chiens et de chats, ils mangent sans gluten et "croivent" aux pierres à l’influence bénéfique et aux horoscopes chinois… Il est vrai que ça ne mange pas de pain et si ça leur fait du bien, on aurait bien tort de leur ôter de la bouche mais à mieux y regarder, ils se retrouvent plongés dans la même arnaque que celle des religions ou des sectes. Au fond l'optimisme en figure imposée n'est qu'un synonyme d'espoir, c’est l'idée que tout va peut-être bien se passer malgré tout… et tant que tout se passe bien, l’oiseau sur la branche a effectivement raison… Mais rien qu’en France, les chats tuent près de 75 millions d’oiseaux chaque année… Il y aura toujours un chat pour nous dire ce que nous avons à faire et nous menacer de nous croquer si on lui désobéit. Il y a un rapport étroit entre l'espoir qui fait vivre et l'ignorance, entre l’insouciance et l'imprévoyance. Pendant ce temps, rien ne bouge, les maîtres se dorent au soleil en encaissant les royalties et tout va pour le mieux dans "Le meilleur des Mondes"…