Page du 20 février 2022, jour bien vivant...
"La bourse ou la vie ?"… C’est ce que nous demandent les truands et la haute finance au coin de la rue avant de nous faire les poches… "Plutôt la vie" répondons-nous dans un dernier souffle… Notre passivité est grande et elle constitue un volant d’inertie assurant notre stabilité collective. C’est le prix de la sécurité, mais ces derniers temps les avancées technologiques et scientifiques sont si rapides que ce frein peut se transformer en handicap. Il a fallu plusieurs siècles avant que le sens commun admette qu'un objet lâché dans le vide sans pesanteur garde un mouvement rectiligne et uniforme pour l'éternité. Il faudra la même durée pour que le même sens commun admette que le temps ne s'écoule pas à la même vitesse selon que l'on se déplace plus ou moins vite. Il serait plus juste de dire que la raison humaine courre avec retard après la rationalité. Qu’importe ? Que l’on courre ou que l’on marche, que l’on rage ou que l’on s’en balance dans son hamac, que l’on soit un scientifique dans son labo ou un pilier de bar, on croit savoir un tas de choses, mais de toute façon, nul ne connaîtra la fin, personne ne verra le bout du chemin.
D’ailleurs, savoir beaucoup n’empêche pas de s’emmerder : beaucoup de musées sont tristes et poussiéreux Nous avons été jetés dans un monde dont nous ne détenons pas la solution. On se cultive, on apprend sans relâche, on accumule les connaissances comme on collectionne les timbres et, à l’heure du virtuel, on ne sait plus trop quoi faire de tous ces albums encombrants qui débordent des étagères. C’est absurde et inutile mais pas plus absurde et inutile que de ne rien collectionner du tout. Cela fait partie de la démence de l’accumulation des êtres et des choses…surtout, du souvenir des autres parce que notre propre vie n’a, somme toute, qu’assez peu d’intérêt. On arrête ainsi sa propre fin en la fixant dans les souvenirs des autres. D’où vient cette peur, ce besoin de se réfugier ainsi dans un passé réconfortant quand l’avenir est inévitable ? C’est un réflexe peut-être salvateur quand le futur inquiète : l’actuel Bluetooth qui relie nos smartphones tire curieusement son nom anglicisé d’un lointain roi danois du 10ème siècle, Harald Blätand à la dent bleue et le logo du logiciel dernier cri est formé de ses initiales en alphabet runique… Quand on ne sait pas où l’on va, on s’accroche de toutes ses griffes au passé, on se réfugie dans les vieilles légendes. Toujours plus savoir, c'est savoir trop car ce que sait l'homme ne peut l'aider qu'à mieux mourir. A quoi servirait la Science si elle ne nous apprenait pas aussi, de son côté, à mieux mourir, à nous rassurer ? La rationalité a-t-elle toujours autant d’avenir que ça ?
La seule certitude que tout cela me rapporte, c’est que si je mourrai un peu moins bête, je mourrai quand même. Me savoir mortel a tendance à me rigidifier par avance. C'est la vie heureuse qui nécessiterait un mode d'emploi… pas la mort. D'où l'épicurisme ou le stoïcisme complètement opposés à nos religions pour qui la vie intéressante se passerait après la mort. L’herbe est soi-disant plus verte de l’autre côté de la clôture, mais quand tu regardes par-dessus le mur du voisin, son jardin est encore plus moche que le tien… La liberté est dans l'esprit, la pensée s'envole comme un oiseau… la réalité physique, elle, est le lieu de toutes les limites, de l'horreur la plus visible, de la guerre, de l'enchaînement de l'esclave ou du poulet dans sa batterie. C'est l'esprit fumeux et invisible, insaisissable qui donne la conscience d'exister et la puissance de dominer la matière. Les facultés propres à l'esprit, la joie, la liberté intérieure, sont les meilleures approches du bonheur ici-bas. Et pendant ce temps roulent les chars et les affaires…