Page du 1er mai 2022 jour de biens et possessions...
Depuis des années, jour après jour, le miroir de mon coiffeur se regarde dans le miroir de mon coiffeur, et il s'étonne de nos sourires. C'est ce vertige de l'infini que l'on appelle la conscience, et qui nous fait penser qu'il y a de l'infini, donc de l'absolu, en nous. D’aller chez mon poilopathe de coiffeur m’horripile, on n’y trouve à lire que "Les Pensées de mon peigne" et il y en a trop qui me montrent les dents. La toute première fois qu’on m’y a traîné pour mes quatre ans, j’ai confondu en hurlant son siège avec celui du dentiste de la semaine précédente… je ne m’en doutais sûrement pas, mais inconsciemment, j’ai dû me brancher sur la mémoire collective qui retiendra que la chaise électrique a été inventée par un dentiste. Pour autant, je n’ai rien contre ma dentiste si douce et attentionnée, mais j’ai quand même l’impression qu’elle a une dent contre moi. Coiffeurs, dentistes, clients, patients, chacun joue un rôle, tout est cinéma à longueur de journées comme dans Matrix et chacun se regarde faire : nous nous projetons sur l’écran, nous nous identifions aux personnages, nous éprouvons des émotions subjectives. Notre vision de ce monde ne saurait être objective car nous sommes des projections, des fictions, nous nous identifions à un ego créé de toutes pièces.
Rien que dire "moi" ou "je" est déjà un abus de langage comme les autres, une affirmation illégale mais vivante, encouragée par une agglomération de pauvres choses qu’on aime. Au joli moi de mes, on offre du muguet… Ces possessions doivent être maigres, fragiles, pauvres pour "fabriquer du moi" de manière simple et acceptable, sinon harmonieuse. Mais bien trop souvent, l’ego ne fabrique que de l’égoïsme. Les superficielles et disproportionnées possessions des riches n’autoriseraient plus ce glissement de "mes". Et quand bien même le riche ne verrait plus sa richesse, il ne serait pas mieux loti que les autres pour autant : son regard s’use sur l’or comme sur le reste mais s’il n’avait que son compte en banque à aimer, il n’aura plus rien du tout. Il existe une jolie planche dessinée par le crayon de soleil de l’affreux Reiser que je voulais utiliser en illustration mais je n’ai pas réussi à la retrouver et comme je tiens à ce souvenir, je me retrouve à vous le décrire…. Un bonhomme à cigare et gros ventre fait visiter à un autre plus maigre son patrimoine : "Mon château, ma femme, ma piscine, mes chevaux, mes chiens, etc". La dernière image est celle du petit bonhomme tout riquiqui qui tourne le dos à l’autre, baisse son pantalon en lui disant, "Mon cul !"… Pourquoi donc tous ces mots faits pour nous opposer : mon, tes, mes ? Nos possessions peuvent être matérielles ou spirituelles, mais pourquoi donc l'instinct de propriété, nous pourrit-il la vie à ce point que l’on se nomme Trump ou Poutine ? Pourquoi m’incite-t-il à rechercher obstinément les objets égarés et le pain perdu ? Les ans se sont enfuis pour toujours mais mes kilos perdus, je les ai vite retrouvés.