Page du 24 mai 2022 jour de désaccord...
Pourquoi les chaînes d’information permanente donnent-elles en spectacle des débatteurs apparemment intelligents et sains d’esprit, en train de s’étriper comme chien et chat ? Sans doute parce que cela leur procure l’audience qui les nourrit, mais l’esprit de contradiction et nos cerveaux reptiliens n’expliquent pas tout… En supposant que, miraculeusement, la réflexion humaine soit réductible à la logique et que deux personnes engagées dans une discussion contradictoire raisonnent par inférence sur des axiomes connus (- simplifions pour commencer…), on doit pouvoir comprendre logiquement l'origine de leur désaccord :
* soit l'un des raisonnements est faux,
* soit les hypothèses initiales sont différentes,
* soit elles raisonnent sur un même système d'hypothèses non cohérent.
*soit elles vivent dans des mondes parallèles.
Dans Don Quichotte, Cervantès illustre joliment ce problème manifestement très ancien et nous emmène dans un village de son époque en désaccord sur la qualité de leur vin. Fatigués de leur querelle, les villageois font appel aux compétences de deux œnologues réputés et sérieux pour savoir ce que vaut leur tonneau : deux avis différents valent mieux qu’un, c’est plus sûr dans la logique paysanne. Le premier goûte le vin, l’apprécie mais nuance : "Ce vin est excellent, bien charpenté, long en bouche, mais n’était ce petit goût de fer qui en altère la saveur…". Le second goûte à son tour : "Oh mais ce vin est fameux, toutes les qualités d’un vin de prince, n’était ce petit goût de cuir qui vient en gâter la fête…". Et là, tout le village éclate de rire, les gens hilares se fichent d’eux : "Voilà, on se donne la peine de faire venir des spécialistes et vous n’êtes pas d’accord, l’un sent du fer et l’autre sent du cuir…". Fer ou cuir, peu importe, de toute façon, on boit le vin, on vide le tonneau et à la fin, qu’est-ce qu’on trouve au fond ?... une clé de fer au bout d’une lanière de cuir… Les paysans avaient donc tort de se moquer et les deux experts n’avaient pas tort. Ils étaient certes en désaccord mais cela ne voulait pas dire qu’ils s’opposaient : cela voulait juste dire que leurs avis étaient complémentaires…
Nous sommes très souvent en désaccord parce que nous raisonnons à partir d'hypothèses plus ou moins inconnues de nous-mêmes et que nous prenons implicitement et subjectivement pour acquises. Dans ces conditions, l'autre ne peut comprendre mon tortueux cheminement de pensée car il lui manque les bases de mon puzzle idéologique (- dont effectivement, je n'ai peut-être pas moi-même pleinement conscience) et je n’ai aucune envie de lui raconter ma vie. D’ailleurs au passage, même si fort souvent, je ne comprends pas ce que je dis, ni pourquoi je le dis, vous n’êtes pas obligé de serrer si fort la camisole, Monsieur l’infirmier…