Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 29 mai 2022, jour incompréhensible...

Denis Vallier

La bonne blague ! Pour avoir voulu construire une tour audacieuse dans un lointain passé, Dieu nous aurait punis en nous divisant pour toute éternité… Mais, ne lui en déplaise, je vois en Babel et dans la confusion des langues, tout sauf un châtiment… c’est au contraire, une bénédiction… Imaginez l’immanence et l’impérialisme d’une langue unique, comme l’anglais par exemple, régressive et répétitive… Il m’est impossible d’envisager la fin du lyrisme rauque de la voix allemande, du chant souriant de l’Italien, du feu de l’espagnol, de la douceur du français, des mille et une autres sonorités exotiques… ne survivrait que le nasillement ridicule de l’américain. Nous aurions alors tous la même bouche informe et mâcheuse d’amazing et de chewing-gum car nos bouches prennent la forme de nos langues maternelles. Une langue unique, standard serait nécessairement la cause d’une uniformisation des modes de pensées, d’une perte irrémédiable d'information, d’un appauvrissement global. Cela limiterait la variété des points de vue et l'entendement commun malgré nos différences que nous échangeons avec tant de plaisir. Nous n’aurions plus rien à nous dire.

Pour illustrer cela, imaginons à l’inverse, la rencontre de deux personnes que tout sépare. Imaginons qu’elles se croisent au hasard d’un voyage et qu’elles deviennent amies même si elles ne comprennent pas un traître mot de ce que dit l’autre. Il y a bien d’autres langages que celui des mots : le corps, les yeux, les indices faibles peuvent suffire. Une complicité se noue, à coups de regards, de sourires, d’attentions mutuelles, d’émotions communes, qui démontrent qu’il n’est pas nécessaire de parler la même langue pour éprouver la même chose. De plus, sans les mots, aucune discussion véritable et donc jamais de dispute… Bref, une amitié se forge ou même plus si affinité.

Mais, allons plus loin… imaginons que pour mieux faire, pour remercier le destin ou l’heureux hasard des trajectoires ou pour satisfaire une curiosité, l’un des deux amis décide de faire l’effort d’apprendre la langue de l’autre… Il se peut très bien que ces deux personnes qui jusqu’ici avaient tant à ne pas se dire mais à partager n’aient soudain plus rien à se dire en normalisant leurs échanges. Il se peut très bien qu’à l’entente du silence succèdent les malentendus des paroles, qu’à l’ouverture simple du cœur, succède le doute, le soupçon proprement mortifère que, par exemple, l’autre ne nous dise pas tout puisqu’il en a, maintenant, la possibilité. Entre les deux amis ou amants, il se peut très bien que s’élève la solide barrière du langage qui, paradoxalement, isole chacun de nous dans une bulle. Car ce n’est pas parce qu'ils ne parlent pas la même langue que les individus ne se comprennent pas, mais c’est parce qu’ils ne disent pas exactement ce qu'ils pensent, et qu'ils n'entendent pas exactement ce que disent les autres. Dans ce sens, Maurice Maeterlinck était persuadé que la parole ne servait jamais aux communications véritables. Quand deux êtres ont quelque chose à se dire, ils sont, avant tout, obligés de se taire. C’est pour cela que je refuse d’apprendre le langage des fleurs, et encore moins celui des oiseaux : je tiens à rester leur ami.

(Photo de la rencontre entre Poutine et Macron autour d'un bouquet...)

(Photo de la rencontre entre Poutine et Macron autour d'un bouquet...)

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commentaires