Page du 6 mai 2022 jour qui pointe le nez...
Les hommes de cavernes en avaient sans doute conscience : ces cavités naturelles se caractérisent par leur aspect "organique" et perdurable. Les grottes les avaient précédés et elles seront toujours là quand nous aurons disparu comme tant d’espèces avant nous. Elles se démarquent de fait de toutes constructions artificielles qui font références à l'intellect plus qu'à une sagesse expérientielle… nos constructions artificielles comme nos idées reçues ou nos croyances, ne se conçoivent que selon leurs fonctionnalités : ainsi nos maisons (- l’équivalent contemporain et personnalisé de la caverne) possèdent portes et fenêtres et tout ce qu’il faut pour ne plus avoir à en sortir en se cadenassant à double tour.
En même temps, les cavernes sont des lieux de retraites privilégiés ou se réfugient encore de nos jours des ermites : la caverne fait ainsi appel à l'être et à sa solitude face aux remous passagers et illusoires du monde, bien à l’écart de la submersion permanente que nous subissons. De même, elle a été, en des temps très reculés, un lieu intime et sécurisé d'accouchement (- physique et spirituel) alors que la maison fait plus appel à la vie de famille et à la vie sociale. Nous avons pointé le nez dehors et la caverne est devenue une prison pour Platon et ses contemporains, mais malgré tout, elle reste aussi le recul nécessaire en soi-même, dans son corps comme dans son esprit. Son caractère organique et universel est directement lié au caractère organique et universel de la sagesse que cherche dans son corps un maître yogi… Et pourtant Platon nous y enferme et nous attache…
Il y a un lien imagé qui saute aux yeux entre se retrouver prisonnier de ses idées et les prisonniers attachés dans la caverne, ce qui enrichit l’allégorie et nous indique une issue. Mais l’éblouissement est toujours douloureux… la lumière est-elle si désirable ? Quand on s’approprie cette allégorie, on peut refermer ensuite tous les vieux livres de philo même si aujourd'hui la situation est inversée : le philosophe submergé par le bruit et la fureur est devenu auto-analyste, il est celui qui explore ses profondeurs car c’est bien dans les profondeurs de lui-même qu’il se retrouve. En tout cas, ce ne peut être un autre lieu (- d'ailleurs, lequel ?). Mais alors, pourquoi Platon n’enferme-t-il que des captifs ? N’y-a-t’il pas de prisonnier volontaire comme dans nos jeux d’enfant ? Il est vrai que ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes. Et quand on nous les fait remarquer et que l’on nous détache, nous voilà hésitants devant tant de soleils sur le pas de la grotte.
Adossés dans la pliure du jour sur la crête blanche de sel nous plissons les yeux vers un ciel qui déjà menace de se déchirer, de noyer d’eau trouble nos ombres stupéfaites… pourtant, la seule ombre menaçante est celle d’un vautour… L’hésitation est fatale, il est déjà trop tard, l’orage éclate et on retourne se mettre à l’abri… que de regrets à venir !…De quoi être malheureux deux fois… Mais contre le tonnerre ne pète !... Réalité, mensonge, rêve, illusion, Vérité, Vérité Sacrée, prophète sacré, con sacré, que de malheurs et de désolations, de guerres et de souffrances pour ces quelques mots papillonnants. Parce que les humains ne sont que des humains, et que la beauté, la perfection et la vérité des mathématiques, voire de la philosophie, de la morale ou même de la théologie, n'y peuvent rien changer. Avec l’âge, on pourrait espérer que les illusions s’usent et cessent de persister, mais ce n’est qu’une illusion de plus… Il en est de celle-là comme de tant d'autres. Une fois figées, à l'état perpétuellement larvaire, ayant du mal à entamer leur développement, elles parasitent toujours autant nos esprits faiblissants, pour ne les quitter que dans un dernier soupir…