Page du 23 janvier 2023, jour du Hobbit...
Tout passe, tout lasse, les couleurs comme le bonheur... On peut très bien s’épanouir, avoir goût et passion pour sa femme, son mari, sa collection de timbre ou son travail (- surtout quand on atteint l’expertise) mais il devient rare que ce soit pour toute une vie… Mesdames, il vous faudra alors fuir ou prendre votre mâle en patience et trouver les moyens de vous en accommoder avant qu’un mortel ennui ne vous fige en statue de sel. Dans cet exercice, certains se montrent plus doués que d’autres : avant d’écrire le Seigneur des Anneaux au succès que l’on connaît, l’honorable Professeur Tolkien raconte qu’il corrigeait fastidieusement des copies dans sa confortable demeure par une belle journée ensoleillée (- ce qui rend ce genre de tâche encore plus longue pour qui aime promener son chien dans la campagne anglaise). La corvée s’éternisait quand, ô miracle, il se retrouva devant une page entièrement blanche qu’un étudiant lui avait accordé. En pur Britannique, son humour fut sans doute tenté de lui coller une excellente note, mais une impulsion fantaisiste sans aucune cause ni raison si ce n’est l’attrait du vide, lui fit mystérieusement écrire sur ce terrain immaculé : "Dans un trou, vivait un Hobbit"…
Avec ce simple mot inconnu surgi de nulle part, un monde entièrement nouveau, riche et foisonnant, jaillit de ce trou, s’imposant de lui-même, comme si l’œuvre avait longtemps guetté cet instant de faiblesse pour s’échapper. L’aspect merveilleux de l’histoire, c’est que Tolkien soutenait que tout lui était donné et qu’il n’inventait rien (- je comprends ce qu’il veut dire car il m’arrive à l’occasion de bénéficier gratuitement de ce genre de cadeau). Si l’adulte n’est qu’un enfant s’étant perdu en route en grandissant, eh bien chez lui, sa part d’enfance avait trouvé une fêlure par où se faufiler. Depuis que je sais ça, je guette avec mon chat à la sortie de tous les trous.
Je ne sais si le très sérieux Professeur Tolkien était heureux en ménage, mais en tout cas, il cachait bien une fantaisie réjouissante qui lui permettait d’échapper aux côtés fastidieux de son travail. Même s’il en avait toutes les caractéristiques (- à part la taille et les pieds couverts de fourrure), il jurait qu’il n’avait jamais croisé de Hobbit avant qu’il ne s’échappe de son stylo. Je veux bien le croire : avant de surgir, tout texte comme toute création et tout amour, est un mystère au fond d’un labyrinthe, et puis, quand les doigts s’agitent et commencent à tirer sur le fil d’Ariane, ils se mettent à tisser : tout texte est textile. Les mains font lien, nouent, donnent force, corps et esprit à la trame, puis, une fois achevée, l’œuvre (- tout comme le fruit de toute passion) cesse de leur appartenir et s’envole. Elle s’échappe du labyrinthe pour mieux désobéir et raconter ce qu’elle veut. Elle n’est déjà plus la même, ni la nôtre, celle que l’on croyait connaître comme la mère connaît son petit avant de le voir s’échapper et vivre sa vie. Quand il m’arrive de me relire des années plus tard, mes textes me sont devenus totalement étrangers… Est-ce eux ou moi qui avons changé ? Sans doute les deux, mais ce que je trouve d’à la fois réjouissant et regrettable (- et pour tout dire, vexant), c’est que ces mots d’un autre temps aient bien plus de poésie, d’imagination et d’intelligence que moi…