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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 19 mai 2021 jour dionysien...

Denis Vallier

Toute une vie à se prénommer Denis n’est pas sans influence… Mon entourage me reconnaît un imaginaire plutôt prolixe et délirant, mais de part et d’autre du Christ martyrisé sur sa croix, je ne parviens pas à me représenter le Dionysos athlétique des Grecs ou le Bacchus grassouillet des Romains, encore moins le Bouddha ventripotent asiatique : jamais ils ne tiendraient. Et n’allez pas me dire que parce qu’ils sont imaginaires, ils n’existent pas… Le Christ, ensanglanté tout en douleurs, représente l’ascète qui, dans un don absolu, réussit à transformer son ressentiment légitime et sa proche disparition, en un amour sublime et prodigieux. C’est magnifique mais sacrément salissant… Ce vide intérieur provoque un appel d’air, une aspiration vers la récompense d’un au-delà compensatoire, il suffit d’y croire. À l’opposé, Bacchus, comme Bouddha, accepte pleinement sa chair surabondante et se tape sur le bide avec les fesses bien assises au sol.

Comme le prescrirait Nietzsche, Bacchus jouit de la vie à pleine bouche, à plein ventre au point d’en déborder et d’être obligé de s’en décharger par tous les bouts. Trop, c’est trop… Toutefois, cette sorte de poussah ventripotent, n’est pas tout-à-fait le Dionysos idéal qu’il envisage dans la mesure où il incarne en 3D une volupté excessive, facteur de mollesse, d’avachissement et de dégradation. Le Dionysos de Nietzsche est une figure beaucoup plus tragique et sous tension contenue par son double apollinien : comment l’abondance du chaos pourrait-elle exister indépendamment de sa mise en forme ordonnée ? Le mouvement quantique des particules sous la surface des choses nous le suggère au quotidien. Ce demi-dieu grec représente la force vitale, la capacité à affronter la réalité, même sous ses aspects les plus terrifiants. En cela, il s’éloigne de Bacchus et de l’Idiot de Dostoïevski qui préfèrent jouir de la vie en la méconnaissant et en baignant dans le déni. La volupté selon Nietzsche à laquelle j’aspire, est une volupté tragique et carrément masochiste : plus une affirmation revendiquée de la douleur d’exister que sa distraction par la jouissance. Mais cette force est une bénédiction : elle lui autorise le luxe de souffrir sans en être affecté tout comme les Grecs avaient cette vitalité qui leur permettait de se confronter allègrement à leurs tragédies.

Quand la souffrance prend un sens, elle est admissible. Nietzsche souligne que ce qui révolte dans la souffrance, c’est moins la souffrance en elle-même que son non-sens (- dans la Généalogie de la Morale pour faire mon intéressant cultivé). Le personnage du Jean Valjean de Victor Hugo (- autre visage très humain de Jésus) est, elle aussi, l’illustration d’une version rédemptrice de la douleur : il souffre toute son existence, se sacrifie pour que Champmathieu ne soit pas accusé à sa place, il renonce aux privilèges de Monsieur Madeleine avant de se séparer de Cosette pour éviter une nouvelle injustice mais il meurt heureux puisque reconnu pour lui-même par Cosette. En quelque sorte, c’est là tout ce que l’on peut espérer en s’en référant à Jésus : même si nous ne vivons pas entre bisounours, exprimer pleinement la bonté qui est en chacun de nous malgré toutes les galères du monde.

Par contre, les seules larmes inadmissibles d’un enfant suffisent pour que tout lecteur passionné par Dostoïevski et les Frères Karamazov comme l’était Nietzsche, refuse de souscrire à jamais aux injonctions divines en ce bas monde : il refusera ce droit monstrueux de faire souffrir l’innocent que s’accorde Dieu. La douleur est-elle toujours rédemptrice comme le soutiennent les Chrétiens ou bien est-elle forcément absurde ? That is the question… mes deuils et mes rages de dents me fournissent une bonne part de ma réponse...

(Photo de Quim Fabregas)

(Photo de Quim Fabregas)

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