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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 5 janvier 2024, jour d'Emma et de Gérard...

Denis Vallier
(BD : Gérard Depardieu en toutes confidences (Dargaud))

(BD : Gérard Depardieu en toutes confidences (Dargaud))

Le temps d’hiver se fait long sous la grisaille d’un ciel aux 50 nuances… Relisez Madame Bovary : au lieu d’harceler Depardieu vous pouvez le retrouver dans le livre… Bon d’accord… on aura beau maquiller le patapouf et lui faire enfiler une robe d’époque, il passera mal dans le rôle malgré son talent, par contre Emma se verrait bien en Gérard... Gare au gorille ! Ce qu’un lecteur un peu rapide voit en premier dans l’œuvre de Flaubert, ce n’est que cette morne grisaille, c’est "L’amour est dans le pré" made in Normandie, alors que c’est aussi une beauté paradoxale qui émerge de la médiocrité du quotidien, c’est Don Quichotte en jupon chez les cloportes, c’est tous les Depardieu de France et de Navarre dans un magasin de porcelaine et ce n’est pas le moindre exploit d’un Flaubert malicieux que de réussir à les faire surgir accompagnés d’une subtile ironie. En creusant plus profond l’ouvrage, cette succession d’adultères d’une femme rongée par l’ennui n’est que le prétexte pour composer un roman superbe sur la neutralité ordinaire vers laquelle nous nous dirigeons à grand pas de nos jours… d’autant plus que l’adultère se trouve fort honorablement condamné puisque l’histoire finit mal : elle ne peut pas s’acquitter de ses dettes pour avoir voulu faire des cadeaux à ses amants ce qui la pousse au suicide. Est-ce que malgré ses appétits, Depardieu se suicidera ? Peut-être si on insiste un peu : la mort, il connait, il a déjà donné… nous sommes tous des assassins.

Parmi les quatre passages censurés par le procureur Ernest Pinard lors du procès qu’on fit à Flaubert en 1857, il y a celui de la mort de Madame Bovary après avoir ingurgité de l’arsenic. Cette mort pour seule perspective, encadre le chef d’œuvre de Flaubert, elle illustre un grand désenchantement : aucune issue possible, pas plus religieuse que spirituelle ou du moins sont-elles remises en cause avec une ironie mordante, avec le clin d’œil complice de Gustave. C’est l’esthétique de l’écart mêlée au sérieux du rire... Les Pinard que nous sommes trouvent que cette mort est peu de chose : si Depardieu et Madame Bovary meurent, ce ne sera jamais assez à côté du bonheur qu’ils ont eu même brièvement. Ils estiment que cette fin tragique ne recouvre qu’imparfaitement les turpitudes de ces dévergondés d’autant plus que la perversité du censeur lui fait voir dans les hoquets et le baiser passionné à la croix liés à la fin douloureuse d’Emma, les signes d’un ultime orgasme accompagné en fond sonore par la chanson grivoise de l’aveugle hantant le livre et qui l’achève ironiquement... Quand la société des hommes vous interdit de vivre, mieux vaut mourir, mais dans une mort en trompe-l’œil à la Depardieu. Même après sa mort, il banderait encore ! Il est vrai que l’auteur accorde de temps à autres à son héroïne des élans mystiques qui la rapprochent dangereusement du Christ. (- Flaubert reprendra ce thème plus tard dans "Un cœur simple" qui procurera les mêmes jouissances à Félicité avant qu’elle ne s’éprenne d’un perroquet tout autant ironique.)

Mais pour le coup, c’est un mélange des genres tout à fait inadmissible comme mes propos, c’est intolérable aux yeux du censeur lambda moins avisé que Pinard… mais s’il est aisé de juger, il l’est beaucoup moins de se justifier… "On fait de la critique quand on ne peut pas faire de l'art, de même qu'on se met mouchard quand on ne peut pas être soldat." diagnostiquait lucidement Gustave Flaubert… Suivez son regard… jusqu’à la suite dans le prochain numéro…

Page du 5 janvier 2024, jour d'Emma et de Gérard...
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