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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 28 octobre 2023, jour en DS Citroën...

Denis Vallier
Page du 28 octobre 2023, jour en DS Citroën...

Bizarre… J’étais là en train de conduire tranquillement et à cause d’un coup de klaxon intempestif, je me retrouve furieux, la bave aux lèvres, le poing brandi, les yeux exorbités en train de déverser un tombereau d’injures sur quelqu’un, que je ne vois même pas, que je ne connais pas et qui ne peut pas m’entendre… On le constate au quotidien, l’horreur est humaine… Dès que l’on monte dans sa voiture, on entre dans un film d’horreur : votre peau se craquèle les poils nous poussent, les crocs sortent des gencives, on se métamorphose en loup-garou, ou plutôt, en un être hybride qui tient à la fois du fauve et de la machine, vous êtes prêt à mordre quiconque vous effleure. Alors imaginez ce qui vous arriverait dans un char d’assaut !... Ça ressemble à de la magie mais comme je n’y crois pas trop, il doit plutôt y avoir une histoire de fétichisme derrière ce phénomène.

Monter en voiture fait partie de notre quotidien et parmi tous les objets qui l’entouraient, Roland Barthes aimait particulièrement la DS Citroën. Depuis son époque, on a eu le temps de nous rendre compte de l’importance considérable qu’a prise l’automobile dans notre esprit : elle est devenue partie intégrante de notre être, une sorte de coquille protectrice d’une tortue devenue plus rapide que le lièvre. L’automobiliste n’est effectivement plus un humain tout-à-fait normal : avec la multiplication des gadgets, il s’est transformé en un être augmenté qui peut exprimer en public sa toute-puissance mécanisée ce qui explique sans doute mes comportements aberrants et incompréhensibles. "La Déesse a tous les caractères, du moins le public commence-t-il par les lui prêter unanimement, d’un de ces objets descendu d’un autre univers, qui ont alimenté la néomanie du 18ème siècle et celle de notre science-fiction : la Déesse est d'abord un nouveau Nautilus.". J’ai bien trouvé une définition pour indéfinissable, "néomanie" doit bien en avoir une aussi…    Je vous évite de chercher : il n’y en a pas… seule la néoménie est l’équivalent de calendes et cela se rapporte au premier jour de chaque nouvelle lune qui était l’occasion d’organiser une petite fête. Je ne vois pas trop le rapport entre la DS et le 18ème siècle, je ne saisis pas plus la référence au sous-marin de Jules Verne, mais je crois comprendre ce que voulait dire Barthes : il avait en haute estime l’esthétique très structuraliste et tout à fait moderne de la DS. Elle détonnait par sa ligne novatrice, tandis que nombre de ses contemporains y voyait un crapaud prêt à sauter, lui, appréciait ses surfaces lisses qui se combinent pour se donner une profondeur. Pour lui, c’était un signe que l’on sortait enfin du conformisme et de l’obscurantisme petit-bourgeois pour trouver un objet presque neutre qui en dit long dans sa sobriété un peu comme les Tesla minimalistes mais très couteuses de nos jours : elles lui ressemblent mais en plus moches. Dire qu’à l’époque, elle passait pour une "grosse voiture" vous situant socialement alors que de nos jours les survivantes paraissent ridiculement petites… comme quoi, si les images survivent aux objets, elles finissent par s’user surtout si on ne s’en sert plus.

Barthes était doué pour nous montrer ce que l’on montre en voulant cacher quelque chose. Cela correspond au syndrome des lunettes noires : on les mets aux enterrements pour dissimuler des larmes mais ce qui, en même temps, vous dispense d’en verser réellement. Comme la Tesla de nos jours, cette DS était caractéristique d’un objet hors normes qui nous fait quitter les mythologies françaises pour aller vers la modernité, vers un univers plus formel, mieux construit, plus inventif mais que les romantiques et les nostalgiques trouveront franchement moche et stérilisé, une émanation de l’esprit froid et méthodique des temps perpétuellement modernes.

(Photo de la DS présidentielle du Grand Charles)

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