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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 28 janvier 2024, jour virtuel...

Denis Vallier
(Illustration par Mehmet Geren)

(Illustration par Mehmet Geren)

- "Tu vois mon gars, dans la jungle, il fallait y aller à la machette pour dégager son chemin… peut-être qu’au 21ème siècle, on n’a plus besoin de bras et de jambes pour avancer et que nous sommes rien d'autre que la pensée que nous entretenons sur nous-même. C’est ce que je me dis quand je te vois vouté sur ton portable"….
- "Mais qu’est-ce qu’il raconte le vioque ?!!! Non mais sérieux, t'es chelou l’ancien. T’inquiète boomer, je gère !"…
 Vas-y, gère tes chaînes… Que devient la liberté dans cette nouvelle organisation, dans cet assemblage de pixels nous accordant un corps virtuel, imagé, statufié, un idéal à portée de rétines, une situation escomptée, un choix réalisé. Dans cette fuite hors du temps et de la réalité, on s’inscrit dans un contexte désiré, un assemblage de particules duquel émerge un résidu de liberté, une liberté piégée d’elle-même dans ses conditions d'existence.

La force d’attraction du virtuel et la dépendance qu’il entraîne réduit notre liberté comme peau de chagrin. Dans un monde illimité hors du temps et de l’espace, le peu de liberté qui nous resterait demeure ce qu’il a toujours été : un équilibre dynamique où deux forces contraires s'affrontent. D'une part, l'acceptation de plus en plus difficile de sa condition (- avec en bruit de fond les habitudes, l'inertie, l'homéostasie) et d'autre part, le conatus de Spinoza, cette force qui tend vers la montée en puissance, l'accroissement de l'être devenu artificiellement illimitée. On a tendance à aller au plus facile, c’est ce qui  nous a amenés où nous en sommes. Notre pauvre liberté malmenée flirterait ainsi comme toujours avec le risque et l'inconnu mais virtuellement : si jamais on meurt, on appuie sur reset… Malgré tout, je la vois comme un impératif ontologique dont la source serait le souffle du Temps qui nous travaille encore en arrière-plan et nous pousse à évoluer pour sortir de cette prison de verre. Qu’est-ce qu’il y a mon petit ? Tu piges que dalle ? J’écris des mots de fou qui n’existent plus ? Désolé, prends ton dico ! Comment ça "c’est quoi un dico ?"…

Peut-être que je me trompe du tout au tout, peut-être que la vérité est infiniment plus souple que cela, que le contenant prend la forme du contenu et vice versa. En reprenant la conception d’Averroès, le citoyen ne serait pas libre en existant dans un contexte, un système, il le serait d’une autre manière lorsqu'il n'y aurait plus de distance entre le contexte et le citoyen, et donc lorsque l'un serait l'autre comme le glaçon fond dans le pastis. Et c’est là le danger… Alors, un changement au niveau de soi, serait un changement immédiat au niveau du monde et l’autonomie ne serait plus une valeur primordiale que pour les vieux grigous de mon espèce. Le seul sacrifice de liberté acceptable se fait par amour. Il est vrai que si dans ce monde réel, on aimait autrui plus que soi-même, notre monde serait très différent. Même s’il est parfois stupide en mettant l’infini à la portée des caniches de Céline, l’amour peut sublimement nous le démontrer : une belle geôlière peut être plus savoureuse que la liberté elle-même comme le chantait Moustaki. Il peut aussi nous ouvrir à la connaissance par l’émerveillement et l’admiration en nous accordant la bénédiction de vivre pour les autres.
En souvenir d’une liberté lointaine, un lien vers celle de Moustaki...

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Commentaires
C
La liberté, comme la démocratie, un mot qui dort encore .. Au delà peut-être en effet que la vérité est plus souple que ce que l'on en croit .. c'est une vraie question - excellent billet dont je partage l'entièreté des propos et si .. dans le monde réel, nous étions capables en premier lieu de nous aimer nous-mêmes .. quelle serait donc la face du monde ? merci à vous
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D
Le visage du monde ?… Si je m’aimais ?... Laisse-moi me réfléchir… envisager le monde… mais le pauvre n’a pas de visage, il n’est qu’un écho du silence dans le silence de l’infini… À la fin de La Peste, Meursault se réveille avec des étoiles sur le visage et voudrait être accueilli avec des cris de haine. Sa révolte le rend ainsi digne du bonheur même si cette dignité ne s’impose pas comme condition absolue au bonheur.