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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 24 avril 2024, jour aux limites...

Denis Vallier
(Illustration détournée par Shusaku Takaoka)

(Illustration détournée par Shusaku Takaoka)

Nos démocraties atteignent leurs limites ces derniers temps : les puissances d’argent leur imposent leurs grandes orientations. Mais, même s’ils sont plutôt jeunes, les princes qui nous dirigent ont bien appris les leçons de Machiavel. Entre autres, ils savent que la gouvernance d’un pays s’appuie sur deux piliers : la maîtrise des grands nombres grâce à l’accès aux véritables informations et la maîtrise du temps par l’imposition d’un calendrier. Pas étonnant que le citoyen de base se sente infantilisé et dépossédé… En élargissant l’écart, il me semble en fait que la frustration citoyenne révèle une tension dans le concept même de démocratie : certains la définiront comme un "gouvernement par le peuple" (- ce qui nécessite que ledit peuple ait un minimum d’éducation, d'esprit critique et d'aptitude au débat) quand d'autres, comme un "gouvernement par l'opinion", ce qui ouvre la voie à toutes les démagogies et stimule le désir d'un peuple narcissique de plus en plus crédule.

La maîtrise de l’opinion publique est relativement simple par rapport à l’autogestion : elle est basée sur l’impact de quelques images qui seront passées en boucle sur les réseaux sociaux ou les télés. Ce sont des images à succès ayant valeur de symboles qui vont impressionner la population en provoquant les émotions souhaitées. Ce peut-être, par exemple entre mille, la photo du corps d’un petit enfant d’émigré sur une plage ou le témoignage édifiant d’une femme battue. En général, ces images ont une durée de vie limitée d’environ trois mois, avant de s’effacer et d’être remplacées par de nouvelles. Toutefois, certaines ont une durée de vie bien plus grande comme celle de la petite vietnamienne terrorisée et nue, brûlée par le napalm en 1972 ou les tours jumelles en feu depuis 2001. Leur vocation est de rester inscrite définitivement dans nos mémoires pour justifier nombre de décisions. Vu notre abrutissement collectif et les démagogues qui monopolisent nos images et nos écrans, on se doute de l’orientation politique à venir. "Celui qui ne connaît pas l’Histoire est condamné à la revivre" nous a prévenu Karl Marx…

Le gouvernement, c'est comme le poids de l'air, on ne le sent pas tant qu’on n’a pas les instruments (- en l'occurrence conceptuels) pour le mesurer mais sa pression est permanente. Pour s’en protéger quand elle devient abusive et inefficace, la tentation anarchiste est légitime : cette pulsion salvatrice est précisément ce qui détruit la représentation narcissique primaire, ce qui ruine la fixité de tout rapport avec un pouvoir infantilisant, ce qui neutralise la tentation de l’identité unique, ce qui, enfin, permet la traversée de l’expérience près des limites. La pulsion anarchiste est salutaire car elle sauve une condition fondamentale du maintien en vie de l’être humain : la possibilité d’un choix, même lorsque l’expérience-limite tue ou paraît tuer tout choix possible. Elle travaille à ouvrir une brèche dans le cercueil quand une situation politique critique se referme sur un sujet et le voue à un triste enterrement en fosse commune.

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