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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 18 mars 2018 jour de reflet dans l'eau

Denis Vallier

      On convient fort souvent de l'importance à s'aimer soi-même mais rare sont ceux qui s'accordent sur le chemin à prendre pour y parvenir. Le nombrilisme ? L’ouverture sur les autres ? Solliciter leur regard bienveillant ? Quémander des petits pouces bleus ? La téléréalité ? Vous vous y connaissez ? Moi, je ne sais pas trop, cela me semble naturel, je le fais de moi-même depuis toujours même quand je me connaissais à peine… moi-même, moi m’aime… Je sais… une personne qui adore une autre, c'est déjà irritant pour les jaloux et les aigris, mais quand l'une et l'autre sont dans la même personne, c'est carrément obscène et coupable aux yeux des pisse-froid… d’ailleurs, au loin, je ne sais si c’est l’ambulance ou la police qui approche. De toute façon, on me fera suivre par quelques psychologues ou psychiatres car, à ce qu’il paraît, eux-seuls sont habilités pour me dire qui je suis et me ramener à la raison...

Se boire jusqu'à plus soif...

Se boire jusqu'à plus soif...

      Dans ces pages, je sollicite et élabore sans fin une autre vision de moi-même, en agrégeant et en dispersant les matériaux et les linéaments octroyés lors de nos multiples rencontres... Même si je traversais des temps difficiles faits de doutes, de déconvenues, d'ennuis, de tristesse, de regrets, de hontes ou de désespoir, je m'aimerais toujours, même dans mes ordures, car je ne me réduirai jamais à mes ordures. Ce n’est pas pour autant que je les méprise : certaines ordures sont superbes. Car, si je méprisais des pans entiers de moi-même pour adhérer de plus en plus inconditionnellement aux définitions que je me fais de moi-même en retour du regard d’autrui, j’entrerais en enfer. En perpétuant cet élitisme endogène, je ferais, et c'est un comble, le jeu de la bêtise, de l'ignorance, du manque à vivre, de la castration. Il ne suffit pas de s’aimer, il faut en plus s’accepter pleinement.

      Si je suis ici quand je suis ici, c'est que je ne suis pas ailleurs même si je devrais ou voudrais tant y être, mais je n'y suis pas. Je suis ça, ceci. Je vis avec ça de moi. Je suis ceci de moi. Ça de moi se voit, je le vois. Ceci de moi me parle, me décrit. Il me faut un lieu d'épandage, une page blanche faite pour me photocopier et me faire circuler dans l'autrui. Je cherchais une place pour me garer et j'ai vu cette belle page blanche... et voilà… la bourde : je n’ai pas fait gaffe que c'était une place pour handicapé. L'échange avec autrui, je le vois comme un cadeau improbable, rarement génial, souvent médiocre, indécis. Tout échange est manipulation : la culture, c’est-à-dire la vie avec la pensée, est contamination.

Jade mire stable eau d’Edward Burne-Jones: The Mirror of Venus

Jade mire stable eau d’Edward Burne-Jones: The Mirror of Venus

      Nous sommes 7 milliards 635 352 230, non, 33, non 36, non 39 sur cette planète et malgré tout, la vie est exploration de la première personne du singulier. Toute cette histoire ne sera qu’amour jusqu’à la fin. Même s’il n’a jamais lu Prévert, chacun d’entre nous peut se dire « Je suis le guide. Je suis la foule… », je suis un régime, je suis la mode, je ne suis plus un enfant... Bon… on se calme ! Je ne suis plus ni Prévert, jaune ou rouge, ni personne. Malgré ces milliards d’êtres humains, il peut arriver aussi à chacun d’entre nous de se sentir si seul que l’envie lui vient de se couper en deux pour être moins seul. C’est pourquoi au pire, je préfèrerais n’être aimé que par moi-même plutôt que de bâtir une façade même superbe et n'être aimé de personne. Combien de stars, de vedettes du showbiz en sont mortes ? Le moi est d'une puissance et d'une ingéniosité diabolique, il vaut mieux l'avoir avec soi que contre soi ! C’est ce que doit se répéter en boucle à mon instar Alain Delon : chaque matin, nous nous admirons compulsivement, nous nous rasons à l'eau froide car l'eau chaude embrumerait le miroir.

      Dans admirer, il y a miroir… m'y voir... fidèle miroir. Mais je suis infidèle, je ne m'aime pas autant que je le devrais. J’y travaille pourtant de longue date mais je devrais peut-être lever le pied car depuis que je sais écrire, j’envoie chaque année une lettre de félicitations à ma mère à l’occasion de mon anniversaire. En réponse, elle me remercie pour sa gestation. Mais qu’y faire ? Je ne suis pas la personne qui pourra me détourner de l'amour fou que je me porte. L’amour fou, qui ressemble avant réflexion à un pléonasme, est dépossession : il est le propre du propre qui dit adieu à soi en soi et pour soi, au même en l’autre, à l’autre donc aussi en tant qu’un autre soi-même. Vous voyez bien que l’amour rend fou. Est-ce que l'amour pour soi est plus propre que l'amour pour les autres ? Avant d’être moi, je porte l’autre, tous les autres et je m’efforce d’enlever ce sale traître d’union dans amour-propre … Mais… mais non ! Lâchez-moi Monsieur l’infirmier ! Je rigole…et en plus, vous voyez bien, je me soigne…

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