Lecteur que rien n’oblige à arpenter ces pages et qui pourtant s’y promène, je t’admire en te plaignant… Outre l’odeur, le drame pour celui qui s’aventure dans cette décharge publique, c’est que, une pauvre lanterne à la main, je n’y écris pas pour être lu mais pour éclairer mes ténèbres en me faisant plaisir. Ce n’est, bien entendu, ni un gage de clarté ni l’assurance d’une réflexion solide, mais j’espère malgré tout que dans ce flot surnagera le plaisir. Je sais bien, je suis trop souvent gonflant avec mes considérations approximatives qui n’en finissent pas, pleines de mots surnuméraires et...
(Illustré par Böyle Şeyleri Seviyorum)
Disserter, les mains dans le dos, face à l’immensité d’un si vaste océan de connerie humaine, dégage une désagréable impression de suffisance et de puante prétention intellectuelle… alors que non, pas du tout, j’essaye simplement de mieux me comprendre pour tenter d’être un peu moins con demain (- si demain il y a). Je suis dans le bain à patauger comme je peux. A mieux y regarder, l’intelligence n’existe pas en elle-même, c’est un fourretout : il y en a 36 sortes fort différentes que l’on n’a aucune raison de hiérarchiser. J’aurai beau m’entraîner nuit et...
L’Homme est exigeant, il n’est rien qu’absolu quand tout est relatif. Il est vrai que notre sentiment d’incomplétude est tel qu’il faut être un crétin authentique pour penser avoir réussi sa vie même si l’on est devenu l’homme le plus riche du monde : trop de choses vous sont possibles, il y a tant à faire et tant de livres que vous ne lirez jamais... Nous sommes (presque) tous logés à la même enseigne. La personne un tant soit peu intelligente aura jusqu’au dernier moment un tas de choses à finir qu’elle laissera en plan. La vie est aussi frustrante qu’un puzzle dont manque la dernière pièce.
(Illustré...
Nous balançons d’un pied sur l’autre en avançant. ..Yin et Yang, Lumières et ténèbres, sans que jamais l’on puisse connaître la pureté des unes ou des autres… On ne fait que passer... Nous jouissons et nous souffrons, des étoiles naissent puis explosent, la vie se nourrit de la mort... Notre monde est prodigieux et empli de merveilles quand la beauté s’unit à l’amour mais il est tout autant un enfer quand il sombre dans la violence et que la douleur le recouvre. Quand elle n’est pas physique, la violence se fait verbale et ces derniers temps elle est particulièrement envahissante. On peut toujours...
Individuellement, une majorité d’entre nous ne se plaint pas de son sort, elle se dit même heureuse, mais dès que l’on regroupe trois Français, ils se disent malheureux et ils rajouteront qu’ils le sont de plus en plus… Si c’est pas malheureux ? !!!... Est-ce une affaire d’intelligence collective ? Je me suis toujours imaginé que l'intelligence c’est ce qui permet de se dire que l’intelligence se mesure à notre capacité à être heureux... Le fameux génie français (- fierté nationale à inscrire au patrimoine immatériel de l’Unesco) serait-il surfait ? On a beau se dire que la lucidité fait mal, que...
Je suis l’animal Alpha, le maître de la planète et, pendant que j’y suis, de l’univers, allez hop ! Dans les dents !... Vous allez voir ce que vous allez voir quand je vais débarquer, vous autres là-bas, tout au fond de l’espace... Je suis rusé et sans scrupule, j’ai tout pour moi et j’en profite ; mais le seul petit truc qui me dérange malgré tout, c’est que je ne suis pas heureux, du moins pas tant qu’il se devrait… ça me laisse un petit doute car je le suis même de moins en moins. Je me demande si c’est si bien que ça le progrès… Je suis même allé sur la lune en 69 en guise d’entraînement et...
Tout ce que je sens, que je vois, que j’entends, m’appartient pour toujours et les souvenirs qui m’en restent sont mon bien le plus précieux. C’est ce que se disent aussi les gitans en regardant nos poules et ils ont bien raison. Vous croyez qu’ils vous les volent eh bien non : tout ce qu’ils voient est à eux, l’espace comme les fruits sur les arbres, les étoiles dans le ciel et le blé des épis… ils ne font que récupérer leur dû. Nous sommes tous nomades et de passage en ce monde, et jusqu’ici, nous avons pillé tranquillement et sans scrupule la planète nourricière. Les capacités de notre cerveau...
(Statue de Lagoa Henriques : Fernando Pessoa devant le café A Brasileira de Lisbonne)
Les mots sont des échos qui n’en finissent pas… "Pessoa s’est assis et puis ne bougea plus"… quel plaisir de citer ici le don d’un poète discret et généreux que la postérité ne manquera pas de saluer (!) mais qui, de son vivant ne sera personne comme Pessoa. Pourtant, avant de s’aligner sur son talent, il lui faudra se lever de bonne heure et cesser de se prendre pour Alain Delon en parlant de lui à la troisième personne, il n’est Alain que de loin. Pessoa, petit homme falot et sans grands attraits, je t’admire...
(Illustré par Jabid Arsalan)
Et Pessoa s’assit… Les hommes marchèrent pendant des millénaires Et suivirent le soleil toujours un peu plus loin Ils s’arrêtèrent enfin, là où finit la Terre. Mais la force pousse aux reins il faut aller plus loin, Ils se firent un pont, fait de voile et de vent. Et s’en furent essaimer sur tous les océans. Ceux qui restèrent-là n’eurent plus que du temps Des amours envolés, les souvenirs absents, Et Pessoa s’assit, voyagea dans sa tête… Il retourna sa barque comme on jette sa casquette Cul par-dessus tête sur des rêves liquides La coque assoupie pourfendit le grand...
Nous avons évolué insensiblement depuis les origines et nous continuerons à le faire jusqu’à la dernière des générations. Mais qu’allons-nous devenir si on ne bouge plus ? Non seulement nous nous sommes sédentarisés de longue date, mais, ces derniers temps, nous avons interposé des écrans entre la réalité et nous, puis nous nous sommes assis… Pour compenser, certains vont courir sur des tapis roulants dans des salles de sport mais ils y vont en voiture… Cherchez l’erreur ! De plus nous nous isolons progressivement en réduisant petit à petit nos contacts physiques devenus suspects et même carrément...
Nous sommes mouvements… Nous sommes faits pour bouger, pour changer sans cesse d’endroit, de corps, de peau, de caractère. Être nomade, est-ce un état d'esprit ou bien une situation ? Tout dépend si le voyage se fait de bon cœur ou sous la contrainte. Adam, le premier Rom sur terre, a mis un pied devant l’autre et ne s’est jamais arrêté. C’est un mouvement venu d’ailleurs, de l’archaïque enfoui et répandu, proliférant et confus, de notre provenance : la nature, la vie et là-dessus notre humanité qui pousse aux reins. Au départ de notre voyage sans fin ni but, il y eu l’émergence du signe et du...
On est jeune et beau avec la vie devant soi. C’est l’âge de l’aventure et de tous les possibles. Un petit matin, on prend son bâton de marche légué par les aïeux et on grimpe la montagne dressée derrière chez soi. On passe cols et glaciers, on dévale mille éboulis, traverse maintes rivières et un beau jour ensoleillé, la mer est là qui barre l’horizon et vous coupe la route et le souffle… Les années ont passé… malgré tout, chaque fois que je contemple la mer qui danse le long des golfes clairs, ma tête tourne, c’est mon manège à moi, je suis pris de vertige. Une fois qu’on y a goûté, c’est une...
À présent, je suis ce que je deviens, voyageur immobile, Pessoa du pauvre, passager de la vie, passager des jours et des nuits dont la succession n’est plus si sûre que ça, passager des lieux démultipliés par l’errance virtuelle que je traverse du regard. Et traversé aussi par les voix passagères engouffrées dans mon être poreux. SDF de la vérité : Sensible, Délicat et Fragile quintal de gitan sédentaire posé au bord d’un de ces chemins qui mènent à la route du Rom sans jamais l’emprunter. Risible et magnifique tragédie… Nous sommes des voyageurs qu’un système inique oblige à s’asseoir. A mes yeux...
On se dit souvent que la vie est injuste ou bien à l’inverse qu’elle nous a accordé une chance incroyable, question de point de vue et de tempérament, mais, autant qu’on s’en souvienne, la vie ne nous a jamais rien promis avant notre naissance. On ne saurait donc lui reprocher la moindre désillusion ou bien à l’inverse la remercier pour quoi que ce soit. C’est inutile, la vie s’en contrefiche. Une seule chose l’intéresse : s’informer, savoir si l’on meurt avant ou après nous être reproduits ; elle peut ainsi mettre à jour son information. Nous n'avons pas fait le monde ni la vie, il faudra faire...
(Photo au mérite de Dorothée Machabert)
Je suis dans le doute, j’en suis même venu à douter de mes doutes ce qui me laisse plein d’inquiétudes sur mes aptitudes à comprendre le monde où je vis. Mais d’un autre côté, j’ai entendu dire que seules les personnes vraiment intelligentes peuvent s’inquiéter de leur bêtise et de leur ignorance… C’est flatteur et rassurant, je dois être quelqu’un de très intelligent malgré une vivacité d’esprit de colimaçon ! Pourtant, j’ai beau faire semblant d’en rire, je continue à me plaindre de mon état. En raison de cette probable connerie congénitale mais répréhensible,...
Au tout départ, quand j’ai commencé à réaliser que j’étais venu au monde, ce monde était tout petit et réduit à ma famille. Là, tout tournait rond et baignait dans la chaleur de l’amour et de la joie malgré des fins de mois à rallonges. Par contre, autant que je m’en souvienne, l’extérieur m’a laissé une impression de foutoir sympathique mais gigantesque : le sol était accidenté et instable, les cailloux étaient durs et égratignaient vos genoux, les repères étaient flous et multipliés à l’infini, bref, la confusion semblait générale. Et il y avait des murs, des murs partout qui m’empêchaient d’aller...
Tetris Life de Rkrkrk...
A l'isolement devant leurs écrans, les reclus des monades urbaines échangent par satellites des photos de chats ou de leur dernier repas. Même en couple, nous vivons de plus en plus isolés au sein de la foule que notre regard traverse sans la voir. Par manque de contact physique avec l’autre, certaines aptitudes qui nous semblaient naturelles vont bientôt disparaître si nous ne les utilisons plus. Bientôt nous ne saurons plus distinguer la colère de la surprise sur le visage de l’autre. Manifestement, au vu de la tournure que prend le siècle, nous devrions anticiper en...
(Je crois bien que je vais juste rester assis ici... Dessin de Steve Cutts)
Mais, dites-moi, que faites-vous là devant cet écran au lieu de courir avec les autres ? Vous perdez des places pendant ce temps-là. Jusqu’à il y a peu, nous avancions plutôt tranquillement à un rythme qui nous convenait et brusquement, tout s’est accéléré, nous nous sommes mis à courir sans trop savoir pourquoi. Et depuis, nous cavalons, cavalons tous ensemble de plus en plus vite, tête baissée en n’ayant aucune idée d’où nous allons. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut être sacrément déséquilibré pour courir ainsi sans s’arrêter....
En règle générale, nous sommes dotés, vous et moi, d’un cerveau performant dont la nature nous a fait cadeau. Nous voici ainsi encombrés d’une fonction surnuméraire par rapport à nos besoins usuels, un superflu qui nous paraît très simple et très proche, si simple et tellement proche qu’il en devient imperceptible, insoupçonnable. J’avoue que les difficultés éprouvées devant certains problèmes comme le calcul des futures retraites me laisseraient plutôt à penser que j’en suis totalement dépourvu. Mais non, de ce côté-là, je dois être à peu près comme tout le monde. On nous le présente pourtant...
Il en a fallu du temps, des centaines de milliers voire des millions d’années, mais petit à petit, nous nous sommes vus dotés d’un cerveau particulièrement complexe, une merveille de la nature comprise dans le pack à notre naissance et aux performances parfois prodigieuses. Par une dérive de cette fonction cérébrale surdimensionnée, nous en sommes venus à vouloir défendre contre toute agression la survie de la personne psychologique que nous pensons être, c’est-à-dire "moi". Cela a laissé du temps à l'animal humain pour accomplir sa maturation (- qu’il assimile à une mutation) et "devenir " ce...
Ce qui est toujours curieux et amusant quand tu te retrouves en train de pousser comme une mule dans une mêlée de rugby, c’est que tu es épaulé par le boucher du coin mais aussi par le bedeau, le toubib ou un ingénieur de Centrale. Mais, diplômés d’université ou videurs de boîte de nuit, peu importe, seuls les champions sont dépositaires du génie qui fait la différence sur le terrain. Ce talent nécessaire n’est pas suffisant pour briller à ce jeu car seuls ceux qui réussissent à l’inclure dans une farandole collective peuvent prétendre jouer à haut niveau. L’expression jubilatoire de l’individu...
Ne sommes-nous pas hautains à hiérarchiser l’intelligence ? De quel point de vue supérieur nous situons-nous ? De toute façon, ce n’est guère charitable. Il est vrai que le chimpanzé et le sportif de haut niveau n’expriment pas forcément une intelligence supérieure telle qu’on l’entend usuellement, c’est le moins que l’on puisse dire pour certaines vedettes qui squattent nos écrans. Comme l’auraient fait affectueusement Coluche ou Desproges, on a toujours le droit de rigoler de la caricature d’un Ribéry, par contre, vous auriez tort de vous moquer de la personne : ne lui demandez pas bien sûr d’extraire...
Un chef-d’œuvre, au sens où le comprennent les compagnons, n’est pas nécessairement artistique, il n’est même pas besoin d’être matériel même s’il exige le "beau geste". Parfois il ne sera apprécié à sa juste valeur que par une poignée de connaisseurs mais qu’importe, il restera un chef-d’œuvre qui survivra au passage du temps. Certains essais au rugby ont marqué les esprits : en règle générale, il n’est guère facile de tromper la vigilance de quinze personnes attentives à la fois mais tout dépend de qui il s’agit. C’est pour cela que certains essais sont assimilés à de véritables œuvres d’art...
Frissons garantis...
On y va en famille, entre amis, le rugby est une fête, un plaisir à déguster depuis les gradins d’un stade. La télé n’est qu’un pâle ersatz, la "Pena Baiona" de l’Aviron Bayonnais n’y a pas le même souffle. Mais de toute façon, c’est cent fois plus jouissif de jouer au roi des sports collectifs, l’individu y trouve tout loisir pour s’exprimer. Comme dans les autres sports collectifs, les grands joueurs font la différence en déterminant avec un temps d’avance où se trouve la nécessité stratégique : il y a toujours plusieurs options, parfois très proches l’une de l’autre, mais...
Deux équipes de rugby sont deux forces collectives en mouvement sur un échiquier, avec non pas un Roi d’une autre couleur à viser comme objectif, mais l’en-but à conquérir ou à préserver. L’en-but adverse, c’est la pelouse du Paradis mais il faut la mériter aussi bien que le Roi car les règles favorisent sa défense à proximité : les derniers mètres sont souvent les plus durs à franchir. Les deux jeux sont aussi complexes l’un que l’autre mais en plus, le rugby est en 3D et le terrain souvent glissant . Outre la préparation physique et mentale, le défi pour l’entraîneur comme pour le joueur d’échec...