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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 28 septembre 2019 jour de la mouche dans le lait.

Denis Vallier

      Les conditions n’étaient pas toujours idéales, mais nous avons évolué tranquillement pendant des siècles, des millénaires, sans trop nous poser de questions tant les choses semblaient aller lentement et d’elles-mêmes. Nous étions, jusqu’à il y a peu, asservis au passé, les œillères de préjugés ancestraux rendaient difficile un regard neuf. Il était par contre aisé de s’adapter à un monde immuable, rétif, étroit où vivait, hier encore, le gros de l’humanité. Tout était à notre échelle : une tribu restreinte, une liberté relative, peu de monde, encore moins d’objets, ceux-ci sans agrément particulier ni variété, la persistance intacte du passé, un avenir toujours meilleur et en prime, si on le voulait, de paisibles immensités désertes pour se répandre et enfin ne plus penser. Notre système était fort simple : étant donné que tout le monde a deux jambes (en principe), le départ est donné, le premier qui parvient au gibier le ramène à sa famille et les autres rongent les os (quand il en reste). Au royaume des pingouins, les manchots étaient empereurs. La vie des bêtes en somme… Nous n’étions plus des animaux mais la nature nous restait très proche, pleine d’attraits et de ressources. (- Pourquoi d’ailleurs faudrait-il reconnaître à l'homme une place particulière en ce bas monde malgré nos fantasmes hégémoniques ? Parce que c’est écrit dans des textes sacrés ? La bonne blague ! Notre réalité est toujours telle que nos représentations la construisent.)

      Et puis, récemment, les chevaux se sont emballés. À un moment donné, je ne sais pas trop  quand, il y a quelque chose qui a foiré. On était là, tranquillous, aspirant la sérénité à la paille et puis crac ! Bzzzz ! la mouche dans le lait ! Terminées les questions simples sur des sujets simples… Quand et où cela s’est-il déclenché ?... Une erreur d’aiguillage sans doute. Ce ne peut être qu’un coup de ces faux-culs d’Anglais ! Avec leur industrialisation à marche forcée, leurs intérêts compensés et leurs jeux de hasard à la City, ils ont passé l’ange de nos certitudes à la poêle pour voir s’il allait se carboniser ou bien se volatiliser. La brutalité du cataclysme et notre impuissance à y échapper nous laissent un goût de cendres dans la bouche.

      À la chaleur du foyer, à la simplicité champêtre ont brutalement succédé, entres autres, les complications infinies de la vie synthétique des monades urbaines. La connerie a repris les rênes à la bêtise. On perd désormais tout son temps à se demander ce qui nous arrive, comment faire, que devenir, si ça vaut bien la peine, à se dire qu’on n’y arrivera pas, que pareil endroit défie nos capacités, limitées, risibles, de subir, de transiger, de nous compromettre, de faire aboutir la petite idée fixe qui est tout ce qu’on a. C’est ainsi que les grands-huit et nos montres tournent de plus en plus vite et qu’au rebours de ce qu’on croit, en dépit du porte-à-faux perpétuel, du doute et de la frustration, de l’insatisfaction chronique quand avoir tout ne nous suffit plus, on s’est résigné en essayant à tout prix de nous adapter et malheureusement en y parvenant pour une bonne part d’entre nous. Étant devenue la norme, notre connerie ne saurait plus être un défaut. Pendant ce temps, quelques profiteurs se frisent les moustaches quand les laissés pour compte morflent et les réfractaires se marginalisent…

Page du 28 septembre 2019 jour de la mouche dans le lait.
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