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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 13 novembre 2017 jour de Shakespeare

Denis Vallier

   Quand la caricature de Victor Hugo s’affine, elle nous présente l’idée, toujours reçue mais intéressante, qu’il est un héritier de Shakespeare, celui qui mêlait, en chacune de ses histoires, le grotesque et le sublime. On est ce que l’on mange nous répètent entre autres nos amis juifs. Toutefois, n’en déplaise à nos amis juifs et musulmans réunis, le porc que nous mangeons subit une métamorphose radicale de par la puissante efficacité de notre alchimie digestive. Ce qui est vrai pour notre viande l’est tout autant pour nos tripes et notre esprit, nous mangeons des symboles, nous avalons des signes à longueur de repas et nous les digérons pour, il est vrai, en faire la plupart du temps quelque chose de malodorant.

   Certains, par contre en font des merveilles : Hugo qui se prenait pour Victor Hugo s’est nourri du génie de Shakespeare et a produit l’œuvre qu’on lui connait. Shakespeare, lui, se prenait pour Shakespeare et tout au long de ce qu’on en sait, c’est une histoire d’identité : pour qui se prenait-il ? William Shakespeare était-il bien Shakespeare ? Ou n’était-il qu’un prête-nom pour ce corrompu de Francis Bacon ? Shakespeare est tout en spéculations, supputations, incertitudes et rumeurs. La seule chose dont nous sommes certains c’est que Shakespeare est bien l’auteur des pièces de Shakespeare et que, pour lui, la vie était une scène de théâtre : si l’auteur, éprouvé ne peut verser aucune larme, l’acteur, lui, peut en verser des flots… Le théâtre de Shakespeare est un théâtre dans le théâtre. Que ce soit dans Hamlet ou dans Le songe d’une nuit d’été, les acteurs jouent une pièce à l’intérieur d’une pièce. « Le théâtre est le piège où je prendrai la conscience du roi ».

Page du 13 novembre 2017 jour de Shakespeare

   William….est une aberration. Comment peut-on être Anglais et si proche de nous ? Peut-être en s’exilant : ses pièces se situaient pour la plus part en Italie. C’était sans doute une sage précaution de l’époque, Swift et Gulliver sont allés beaucoup plus loin.

   L’œuvre de Shakespeare est pourtant bien anglaise, toute en ambiguïté : ses acteurs font semblant d’être des acteurs. Quoi de plus hypocrite qu’un Anglais ? et acteur en plus ! On a souvent l’impression que l’émotion qu’ils nous suggèrent vient après la contrefaçon de l’émotion, que puisque nous sommes dans l’impossibilité d’y accéder pleinement, c’est en jouant une réalité que cette réalité se manifeste. Shakespeare marque un détachement par rapport à son propre vécu, une incapacité à vivre ses émotions telle qu’il lui faut les projeter sur une scène pour les ressentir. Il fait de nos larmes des larmes de crocodile ou plus sûrement d’acteur. Il demande à l’acteur de vivre le paradoxe du comédien. Les larmes surgissent après la contrefaçon des larmes. De même pour  le rire et la folie : nul besoin de fou dans Hamlet, c’est lui le fou tout en précisant qu’il se peut qu’il imite la folie. Amleth, en Danois, c’est le faux dadais qui joue la folie pour tromper son monde. Mais à contrefaire la folie, on ne sait jamais s’il ne se prend pas au jeu en devenant réellement fou tout comme Lorenzaccio pourrit à force de fréquenter la pourriture pour y mettre un terme. Le talent de Shakespeare est dans cette incertitude énigmatique qui nous révèle subtilement notre propre ambiguïté : comment nous situons-nous par rapport à ce jeu ? Qu’en est-il du théâtre et de la théâtralité ? Du simulacre qui finit par nous tromper nous-même ? Du menteur qui ment si bien qu’il pervertit sa propre vérité ?

Page du 13 novembre 2017 jour de Shakespeare
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