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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 24 novembre 2017 jour du lecteur

Denis Vallier
Page du 24 novembre 2017 jour du lecteur

      Lire ne suffit pas, il faut savoir lire. Il faut donc apprendre à savoir lire mais il n’y a toujours pas besoin de permis, du moins pas encore : nous avons encore quelques belles soirées devant nous avant Fahrenheit 451. C’est tout un art de trouver un chez soi dans l’écriture d’autrui. Ainsi sans doute n’a-t-on pas fini d’apprendre à lire les vies lorsqu’elles s’écrivent. Il faut autant de talent pour lire qu'il en faut pour écrire. Deux comètes se croisent et les cieux sont embrasés, le poème est ce lieu où la rencontre advient, pied de nez au néant, à l’infernal déni. Pour apprendre à savoir lire, ce qui est en effet indispensable, comme le savoir même, et comme la recherche et l’enseignement sans fin, il faut d’abord lire, tout, et tout relire et relire. Il nous faut également surpasser ce qui nous limite. Chacun a le choix de passer outre ses propres censures, se dotant alors d'une plus grande liberté d'appréhender l'expression de l'autre, non plus dans la forme, mais dans le fond. Ce n'est en rien une obligation, mais juste une façon de resituer sa propre histoire en fonction de celle de « l'étranger », de quoi améliorer sensiblement la communication entre les êtres.

Page du 24 novembre 2017 jour du lecteur

      Les aveugles n’ont pas notre chance, ils lisent avec les doigts, mais il n'y a pas que les aveugles qui soient gênés pour lire. Les manchots le sont aussi : comment tourner les pages ? Les plus à plaindre sont indéniablement les manchots aveugles ou les sourds qui perdent la vue : ils ne voient plus ce qu’on leur dit. En général donc, nous lisons avec les yeux. Ce que les yeux font pendant qu'on lit est d'une complexité qui dépasse à la fois ma compétence et le cadre de cet écrit… ce qui ne gêne en rien pour en parler.

      Pour le peu de ce que j’en sais et de ce que j’observe dans ma propre manière de lire, les yeux ne lisent ni les lettres les unes après les autres, ni les mots les uns après les autres, ni même les lignes les unes après les autres, mais procèdent par saccades et fixations, explorant en un même instant la totalité du champ de lecture avec une redondance opiniâtre : parcours incessants ponctués d'arrêts imperceptibles comme si, pour découvrir ce qu'il cherche, l'œil devait balayer la page avec une agitation intense, non pas régulièrement, à la manière du balayage d'un vieux récepteur de télévision ou de la petite orpheline de Daudet qui fait la lecture à ses grands-parents et qui épelle la vie de Saint Irénée: «Aus-si-tôt-deux-lions-se pré-ci pi-tè- rent-sur-lui-et-le-dé-vo-rè-rent... », mais d'une manière aléatoire, désordonnée, répétitive, ou, si l'on préfère, puisque nous sommes en pleine métaphore, comme poule picorant le sol à la recherche de miettes de pain.

      Cette image est évidemment un peu suspecte, mais elle me semble pourtant caractéristique, et je n'hésite pas à en tirer quelque chose qui pourrait être le point de départ d'une théorie du texte : lire, c'est d'abord extraire d'un texte des éléments signifiants, des miettes de sens, quelque chose comme des mots clés que l'on repère, que l'on compare, que l'on retrouve comme des amis.

Page du 24 novembre 2017 jour du lecteur

      C'est en vérifiant qu'ils sont là que l'on sait qu'on est dans le texte, qu'on l'identifie, qu'on l'authentifie ; ces mots clés peuvent être des mots, mais peuvent aussi être des sonorités (des rimes), des modes de mise en page, des tournures de phrase, des particularités typographiques (par exemple, la mise en italique dont j’abuse), voire des séquences narratives entières que l’on attend. On les attend comme on attend les notes à venir dans une mélodie plaisante que l’on entend pour la première fois. Quand cela ne se produit pas, la lecture est pénible : j’ai le plus grand mal à lire le Canard enchaîné alors que je le voudrais. Est-ce une affaire de présentation, de typographie, de style, de vocabulaire, un mélange de tout cela, je ne sais trop, mais, manifestement, je ne franchis pas l’obstacle. Pour ma part, je voudrais me remettre à la lecture rapide que je maîtrisais étant jeune, mais le résultat demeure médiocre. Alors, maintenant, j'écoute des livres sur cassettes… en avance rapide.

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