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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 10 janvier 2018 jour de la rose

Denis Vallier

      Le « Nom de la Rose » est un film de 1986 réalisé par Jean-Jacques Annaud et inspiré par le regretté et subtil Umberto Ecco décédé au début de 2016 quand chaque jour a apporté son quota de célébrités disparues. Les noms de toutes ces personnes connues disparues ne s’effacent pas avec leur mort : ils demeurent toujours autant dans notre mémoire collective, du moins pendant un bon bout de temps encore. Durant tout le film qui dénonce magistralement l’inquisition et l’intolérance, on peut se demander pourquoi ce titre et ce n’est qu’à la fin que l’on comprend et qu’on se dit que, comme souvent dans la vie, on est passé à côté de l’essentiel car le classique mot FIN n’apparaît pas.

La rose d’autrefois n’existe qu’en tant que nom. Il ne nous reste que des noms nus » Umberto Ecco

La rose d’autrefois n’existe qu’en tant que nom. Il ne nous reste que des noms nus » Umberto Ecco

      Le « Nom de la Rose » est conté en voix off à la fin de sa vie par celui qui fut un jeune moine marchant sur les traces audacieuses de son maître joué par Sean Connery. Il a gardé tout au long de sa vie le souvenir ému du visage d’une jeune paysanne sale, inculte et furtive dont il est tombé brusquement amoureux, dont il ignore le nom et qu’il n’a jamais revue. Cette rencontre banale en apparence nous paraît dénuée d’intérêt par rapport à la puissance du sujet, de la philosophie qui la soutient et des réflexions que les deux suscitent. Or, à la place du mot FIN, Umberto Ecco et Jean-Jacques Annaud nous laissent lire « La rose d’autrefois n’existe qu’en tant que nom. Il ne nous reste que des noms nus »… et là, tout est dit.

      Les hommes s’agitent, se battent s’étripent et cela, souvent au nom d’une religion. Il y a dans ce bas monde des tombereaux d’ignominies perpétrés au nom de quelque chose qui nous dépasse alors que ce qui importe vraiment, ce qui occupe et préoccupe toute une vie, c’est le nom de la rose, fugitive et fragile. Ce film sombre, marquant, au souffle épique, est avant tout une magnifique histoire d’amour et une subtile leçon d’humilité. Les « noms nus » sont maigres et dépenaillés mais d’une grande beauté. Ils s’emparent de vous, prennent toute la place et leur force est considérable…

Les raisins ont la parole: "Happyculteur: personne qui fait son miel des petits bonheurs de l'existence" Alain Crehange

Les raisins ont la parole: "Happyculteur: personne qui fait son miel des petits bonheurs de l'existence" Alain Crehange

      On découvre une nouvelle étoile, on lui donne un nom, un poulain naît, on lui donne un nom, on crée une entreprise, un dossier, on les nomme. Pareil dans la genèse, le Verbe créa, et Adam et Ève (qui se croyaient sans doute archéologues…) reçurent un lot d’étiquettes et les collèrent sur toutes les créatures qu’ils rencontrèrent, sur tous les fossiles d’humanoïdes qu’ils découvrirent (euh non… suis-je bête !). Mais ils n’ont pas tout nommé, loin s’en faut, ni les okapis, ni les chromosomes, ni le moindre virus, ni l’Amérique, ni les lunes de Saturne… Une fois qu'on a donné un nom, on peut commencer à causer, on ne sait encore pas où l’on va mais au moins, on sait d’où l’on part.

      Par contre, il y a des choses qu'on ne nomme pas. Par exemple, hier, j'ai mangé des grains de raisin, un après l'autre, sans prendre le temps de les nommer chacun, de les écouter raconter leur histoire. C’est un grand tort… ils avaient tant et tant à dire : l’odeur de leur terre après l’averse, le bois torturé du vieux cep qui les a portés, leurs petits bobos, la caresse chaude d’un soleil estival, la fraîcheur du vent qui les a ravigotés, les doigts rugueux qui les ont cueillis, leur trajet pour parvenir jusque dans ma main, de quoi faire un livre. Non, rien du tout, je les ai croqués tout bêtement. Tout au plus, pour en parler, on les évoque par leur genre ou espèce ou catégorie, c’était d’ailleurs un bon muscat. Ce que l'on ne nomme pas, on le bouffe ou on le détruit. Combien de bestioles écrabouille chacun de mes pas ? Et pourtant la moindre bactérie est infiniment plus complexe que le soleil. Une réalité sans nom devient un nom sans réalité. Il faudrait faire une étude approfondie pour voir dans quels cas on nomme et dans quels cas on ne nomme pas. Comme l'homme est un être de langage, du moins jusqu’à présent, cela pourrait nous apporter nombre d’informations sur ce que nous sommes.

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