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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 27 janvier 2018 jour en mouvement

Denis Vallier

      Tout bouge, tout change ces derniers temps et plutôt brutalement. L’emballement est une évidence et ceux qui le contestent des autruches ensablées. Le climat, la science, les hommes ne sont plus les mêmes que dans mon enfance. Tous les dix ans, les capacités aérobies de la jeune population mondiale a diminué de 5% (contre 2% en France), elle se virtualise à vue d’œil et les jambes seront en option sur les prochains modèles. Pendant ce temps, les avancées de la science dans le domaine quantique battent des records tous les jours et récemment un ordinateur équipé de quatre minuscules processeurs est devenu le meilleur joueur de go au monde après seulement trois jours d’entrainement. Il a appris tout seul !

      Mais ce qu’il faut prendre en compte, c’est que ce n’est pas en faisant des découvertes que la science avance, c’est en changeant de modèle, de paradigme. Derrière toute conception scientifique, il y a une certaine image de l’Humanité et celle-ci a des conséquences morales, sociales, politiques, carcérales, cliniques. Nous sommes traités selon l’image dominante de l’Humanité que se fait la société du moment et cela s’impose à tous, qu’on le veuille ou non. Quelle est cette image pour ce qui nous concerne ? Elle est sacrément floue. Quelle sera-t-elle demain ? Nous sentons que nous sommes à la veille d’un bouleversement considérable mais nous fonçons têtes baissées et sans casque dans l’inconnu. Qui pourrait nous éclairer ? Y-a-t-il un pilote dans l’avion ?

Comment ça marche?

Comment ça marche?

      Notre regard sur nous-même, la société et le monde évolue bien souvent grâce à l’action de quelques courageux liée à des concours de circonstances. L’accumulation de nos petits changements individuels entraîne l’évolution de nos sociétés et cela parfois brusquement. Les anatomistes du passé comme André Vésale au 16ème siècle, le plus grand anatomiste de la Renaissance, ont voulu audacieusement changer le regard de leurs contemporains sur ce qu’était vraiment un humain. Braver la toute puissante institution religieuse demandait courage et détermination. Pour ce faire, ils ont réalisé de superbes gravures d’écorchés afin de leur expliquer leur corps, cette enveloppe jusque-là sacrée et inviolable. Par soucis esthétique, ils leurs donnaient des proportions idéales respectant les canons de la beauté grecque en insistant toutefois avec précision sur les tendons, les muscles, les boyaux. Dans le même temps, ils donnaient des expressions extatiques voire christiques aux visages de leurs cadavres debout comme si la médecine voulait se protéger de l’idée de sa propre violence en l’encadrant par un contexte connu et rassurant. Ces statues grecques épluchées nous montrent leurs entrailles avec le sourire mais c’est un sourire jaune. Elles expriment surtout leur tension d’être ainsi offertes plus que nues aux regards de tous, leur inquiétude à conserver leur humanité tout en nous présentant la même viande que l’étal des bouchers. Les écorchés de Vésale sont à la fois superbement beaux et horriblement laids, intimes, charcutés autant que sublimés comme les statues antiques des musées, anatomiques et objectifs de corps et douloureux de visage, scientifiques et esthétiques… Ce qu’il ne faut pas faire pour passer le message!

Pas facile de conserver son humanité tout en nous présentant la même viande que l’étal des bouchers.

Pas facile de conserver son humanité tout en nous présentant la même viande que l’étal des bouchers.

      Tout au long des siècles et jusqu’à nos jours, leurs écorchés ont fortement inspiré des peintres comme Francis Bacon ou plus près de nous de pseudos-artistes comme le scandaleux Dr von Hagens. Notre monde a déjà changé à maintes reprises mais jamais aussi rapidement que ces derniers temps. Ce qui reste constant, c’est qu’au sein d’une même culture, tout se mélange tandis que tout se tient aussi et ceux qui revendiquent de s’en écarter pour faire bouger les choses n’en sont qu’un produit comme les autres juste un peu plus lucide et beaucoup plus déterminé. Mais qui accepte sans protester de n’être qu’un vulgaire produit ?

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