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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 9 janvier 2018 jour utérin

Denis Vallier
Page du 9 janvier 2018 jour utérin

      Toute expression artistique participe au projet de se perpétuer au travers d’elle. On passe sa vie à inventer et expérimenter. Et ça commence tôt. Tenez, ma naissance, même littéraire, une expérience extraordinaire mais terrible. Je n'ai jamais recommencé, d'ailleurs. Bougez pas que je vous raconte comment, pour mon cas, la Vie s’est imprimée sur la matière.

      Amas de poussière d’étoile, je me comprime, je me densifie sous la pression de tout un univers. Je tente de me contorsionner, de m’étirer en loooooongueur, mais rien n’y fait, je ne suis que ce crâne déformé coincé dans un étau, ce cerveau écrabouillé emprisonné en lui-même… Esprit, es-tu là?... À peine un fantôme. Dans tout ce noir, un point brillait, lointaine étoile. Rigoureusement, pour être précis, ce n’était pas tout à fait un point puisqu'il était visible. Disons que dans la béance de l'errance, une lueur blanche… frontière franche, les règles du jeu changent

      Écrasement, écartèlement, le noir, l’étau, la peur, l’énergie du désespoir, couloir, détresse et terreur. Juste ce point aveugle. Tout être vivant connait la peur, elle est en prime à l’aventure. Pour le bonheur et la félicité, c’est moins évident, on verra plus tard. Pour l’instant, le noir ronge le cœur, me le dévore pour n’en laisser que des miettes. Que va-t-il en rester ? Comprimé dans sa frayeur, le Moi se fanatisera en touchant la lumière du moins je l’espère. Pour l’instant, vivre n’est pas encore exister, malgré tout c’est déjà considérable...

      Mais… mais, que lisez-vous là ? Espériez-vous distinguer entre ces lignes un nez raclant les parois d’un utérus ? Pourquoi pas d’ailleurs… Vous n’êtes pas en train de lire la notice d’un mixer.  L’écriture demeure dans l’équivoque et la beauté dans votre œil. C’est vous qui voyez.

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Frêle espoir... Les fleurs finissent toujours par traverser roches et bitumes

Frêle espoir... Les fleurs finissent toujours par traverser roches et bitumes

      Débarquer dans un réseau social comme celui où nous sommes, c’est carrément une nouvelle naissance. Il y a tout autour un monde et moi aveugle au milieu. Il y a des mots dans l'air, au creux du grand vacarme, il y a des voix devant mes yeux qui dansent en multitudes lentes comme des flocons dorés dans un brouillard éblouissant. Éblouissement… quel beau mot… on pourrait en demeurer aveugle rien qu’à le prononcer. Quand je vois toute cette lumière, comment pourrais-je deviner qu’il y aura aussi la nuit, qui tombera à nouveau quand elle le décidera ? Il y a des couronnes de doigts mêlés à mes cheveux, des bouches légères et souriantes aux visages des anges. On murmure alentour mon nom en mille et une langues, un nom affirmatif. Comment pouvait-on savoir comment je m’appelais avant même de me connaître ? Comment nommer ce qu’on ne connait pas ? On ne peut que se tromper.

      Avec la vie, le nom est pourtant le premier cadeau que m’a fait le monde où je suis tombé. Le nom transmis, même discutable, est la marque présomptive de l’appartenance à l’humanité, mais j’étais distrait, cela m’a paru normal et je n’y ai prêté aucune attention, et pourtant le nom donne une forme. Qu’est-ce qu’il raconte ? Une origine, une identité civile, une histoire, une culture… Un nom, c’est souvent descriptif, il peut dire d’où vous venez, quel était la fonction de vos ancêtres. Bref, jusqu’à présent, il parlait, instruisait. Mais de nos jours, nous ne sommes plus définis que par des codes-barres, des codes QR, le nombre de nos clics sur l’Internet, les suites de chiffres de nos numéros d’assurés sociaux ou de nos RIB. De civile, notre identité est devenue bancaire. Dépouillés de nos noms, nous sommes obligés de ne nous en tenir qu’à nous-même, nous imaginer nous-même, père et mère et ancêtre de nous-même. En atterrissant à cette époque et en ces lieux, l’appartenance à l’Humanité et même plus modestement à la simple compagnie des hommes est en passe de devenir une limite, un possible improbable : notre curieuse reptation sur cette planète atteindra son terme avant même de la réaliser pleinement. Pas très encourageante comme perspective, de quoi rendre vain l’effort, vain le trajet, vain le tracé avant même de l’entreprendre. Mais haut les cœurs ! L’espérance est chevillée au corps des enfants, les fleurs finissent toujours par traverser roches et bitumes.

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