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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 8 février 2018 jour en V.

Denis Vallier

      Sur la flèche qui l’atteint, l’oiseau reconnait souvent ses plumes. Les enfants sont souvent cruels entre eux et leurs premières flèches, ils les tirent sur le nom de leurs camarades,.Certains ne sont pas aidés dans l’histoire mais d’autres sont plus difficile à atteindre. Mon nom ne prête guère le flanc aux cruelles moqueries des enfants : que voulez vous faire de Vallier ? Cavalier ? Chevalier ? Mon bouclier était trop épais pour leur faibles flèches et mes petits camarades manquaient cruellement d’imagination. Je me suis aperçu ainsi que ceux qui manquent d’imagination ont du mal à s’imaginer tout ce qui leur manque. Tel un mini Cyrano de Lorraine, par bonté d’âme  j’aurais dû les aider mais j’étais sans doute aussi cruel qu’eux. Si j’aime bien Maître Ioda et les Jedi, figurez-vous que je préfère les vendredayes parce que mon nom commence par un V comme vendredi et rétrospectivement, je m’en veux de ne pas avoir  pu compatir ainsi :

      Mon nom est Vallier avec un V comme Vieux ou Van Gogh... C'est vrai, je me sentais vraiment vieux, vide et vain ce vendredi là. Vieux, voui, comme une vieille valise vide. Voilà comment je me voyais : vacant, vermisseau, vermicule, sans volonté. Vermet arraché au rocher, emporté au gré des courants, jouet de l'incessant va-et-vient du flux et du reflux... Vermicelle noyé dans le potage parmi des milliers d'autres vermicelles... Vermine ! Vesse silencieuse mais nauséabonde.

      Vaseux, je répétais la litanie vaporeuse, visqueuse, du vendredi: vain, vide et vieux, veule et vile, vacant... Volontairement psalmodiée, elle m'apaisait, me procurait l'ivresse nulle du détachement.

      Volvo bleue, Renault verte, de rares autos glissaient paresseusement dans la rue engourdie par le vain soleil d’hiver. Je sentais, devinais presque une vérité absolue et banale, ce grand et inutile savoir promis, vomi, par le chant des sirènes. Voui, bien sûr, m'avouai-je. Voilà: tout est en ordre, le chaos n'est qu'apparent. Vif-argent, une abeille anachronique bourdonnait, je la suivis des yeux dans son vol vrombissant. Voluptueux et ventru, un nuage, unique et cotonneux, promenait son existence précaire et vaporeuse dans le ciel bleu. Veuf, peut-être, un pigeon solitaire roucoula.
J’avalai ma salive: une boule me gonflait la poitrine: le savoir est si proche ! Volvo, pigeon, nuage, abeille, ciel bleu, tout cela s'accordait, s'unissait et se lovait en moi. Vint l'idée, évidente: «tout est un » pensai-je, « Un » je vibrais à l'unisson de l'univers.
Je résistai à l’envie, au vertige-de me laisser tomber, mollement, sous les roues d’une voiture: mourir là, tout de suite, enfin, serait épouser la vraie béatitude.
Je vociférai : « Calva! », sitôt franchie la porte du café et m’accoudai au bar. Venimeuse, une grosse voix avinée m'apostropha du fond de la salle :
- Le valétudinaire vient prendre son remontant?
Je reconnus la voix. Visage vérolé, le porte-voix s'approchait, m’assénait une tape bourrue sur l'épaule.
- Sacré vieux vautour va!
J’étais en train de me jeter mon calva ...et je me le pris sur les socquettes, m'étranglant, toussant, secoué, suant sous le coup asséné!... C’est qu’on entend minuit sonner me suis-je surpris à me susurrer
Quand je pus reprendre mon souffle
 - « Espèce de salopard! » sifflai-je à l'autre sadique sympa. « Serveur, deux schnaps, siouplait ! ça-y-est, on est samedi et ça c’est sûr, ça va être ta fête! ».

Page du 8 février 2018 jour en V.
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