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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 11 avril 2018 jour du penseur perturbé

Denis Vallier

      Ça ne se voit pas comme ça parce que je n’ai pas l’air particulièrement fute-fute, mais à un moment donné de ma vie, j’ai beaucoup pensé…Penser... ? Ça avait commencé assez innocemment. J'ai commencé à penser pendant des soirées où je m'ennuyais comme un rat mort dans les cales du Titanic; je me laissais aller de temps en temps, seul dans mon coin avec mon verre... Inévitablement, une pensée en amène une autre, et très vite je fus bien plus qu'un « penseur de salon » : je commençais à penser seul et par moi-même. « Je me relaxe », me disais-je, mais je savais que ce n'était pas vrai. Penser devint de plus en plus important ; et, finalement, je me retrouvai à penser constamment. Je commençai même à penser au boulot. Je savais bien que « penser » et « garder son emploi » ne vont pas ensemble, mais je ne pouvais m'en empêcher. Je me mis à éviter mes collègues à l'heure du repas, ce qui me permettait de lire Nietzsche et Kafka. Même Sartre, c’est vous dire la gravité! Je retournais au boulot avec le vertige, en me demandant : « Mais que faisons-nous ici? ».

Le dépenseur de Rodin... enfin, je crois. La vie est dure pour les statues et pourtant, pas moyen de redresser la situation...

Le dépenseur de Rodin... enfin, je crois. La vie est dure pour les statues et pourtant, pas moyen de redresser la situation...

      Les choses n'allaient pas mieux à la maison. Un soir, j'ai éteint la télé, et j’ai demandé à ma femme ce qu'elle pensait du sens de la vie… Elle a passé la nuit chez sa mère ! Très vite j'ai eu une réputation de penseur profond du genre scaphandrier ou chieur de long. Un jour, le patron m'a appelé : « Rodin, je t'aime bien, et ça m'ennuie de te dire ça, mais le fait que tu réfléchisses autant devient un problème. Si tu ne t'arrêtes pas, il faudra que tu cherches un autre emploi. ». Ça m'a donné beaucoup à penser. Je rentrais tôt chez moi, et dit à ma femme : - Chérie je pense que ...
- Je sais que tu penses, et je veux divorcer!
- Chérie, ça ne peut pas être si grave que ça
- Si ! Tu penses autant que des profs d'université, et les professeurs ne gagnent plus rien, donc, si tu continues à penser, on n'aura plus d'argent!
- C'est un syllogisme défectueux… lui répondis-je patiemment, et elle s'est mise à pleurer.
- J'en ai assez, je n’en peux plus...
- Je vais à la médiathèque lançais-je en claquant la porte.

      Je me rendis à la médiathèque, avec l'idée de me payer un Kafka et de la musique classique dans les oreilles... Mais elle était exceptionnellement fermée. Je suis sûr qu'une Puissance Supérieure avait un œil sur moi ce soir-là. Alors que je m’en retournai, déçu, frustré et une affiche attira mon attention : « Est-ce que penser détruit votre vie ? ». Vous connaissez, bien sûr les « Penseurs Anonymes ». Tout le monde connait les bienfaits de cette association. Et depuis je suis devenu un Penseur convalescent en sursis. Aux réunions, on regarde des vidéos non-éducatives : la semaine dernière, c'était Céline Dion et cette semaine, une émission de Téléréalité. Ensuite, nous échangeons sur nos expériences, comment nous avons évité de penser depuis la dernière réunion, enfin, des choses comme ça et on s’applaudit. J'ai toujours mon emploi, et les choses s'améliorent à la maison. La vie est devenue ... plus facile, en quelque sorte, depuis que j'ai arrêté de penser. Depuis, effectivement, je ne pense plus… Je dépense… Ça compense...

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