Page du 28 septembre 2018 jour de la termite.

      Il était une fois Sisif, une termite un peu zinzin, qui, lassée de besogner pour des prunes, d'un grain de sable se fit un piédestal. Elle aimait regarder ses consœurs s'agiter autour d'elle vacant à leurs occupations. Elle jetait sur elles un regard condescendant, les estimant ignorantes de la petitesse de leurs besognes. Parfois le passage d'une de ces ouvrières, venait à ébranler son grain de sable piédestal, aussi notre amie entreprit-elle de consolider son socle : elle agença 3 grains ensemble pour poser le premier ce qui en fit 4, puis elle en rajouta 9 par en dessous ce qui fit 13 au total qui passa ensuite à 40… à 121 et à toujours plus. C’était un travail géométrique titanesque car à chaque fois, elle devait tout détruire pour recommencer depuis une base élargie, mais cela lui procurait la satisfaction de s'élever davantage. Elle devint très forte en math et son statut changea : personne n’osait plus protester lorsqu’elle s’appropriait des territoires de plus en plus vastes dont elle finit par monnayer l’accès en nature. Cela lui permit de détourner de leurs tâches habituelles des ouvrières en grand nombre pour faire le boulot à sa place. Notre termite était convaincue que le but de sa vie était d'ériger cet autel dédié à sa propre gloire, alors elle redoubla d'effort et d’autorité pour élever ce temple intérieur même si la termitière en pâtissait. Mais quel spectacle ! Quel enchantement ! Et cela ne fit que la renforcer dans sa résolution d'œuvrer davantage, encore et encore.

      Arriva un moment, où ayant dépassé les basses couches de brumes, elle découvrit d'autres promontoires, avec d'autres termites, qui comme elle, s'étaient érigé leur propre édifice. À peine remise de sa surprise elle s'aperçut que du piédestal voisin on lui faisait des signes qu’elle avait du mal à comprendre car ils ne semblaient pas être dans la langue d'en-bas. Elle se dit qu’il y aurait intérêt à s’entendre avec ces autres termites qui avaient su atteindre un tel niveau. C'est ainsi qu'elle engagea des contacts, à droite, puis à gauche, puis dans toutes les directions. Du haut de leurs pics solitaires, les termites des cimes, tissaient des liens de signes qui les unissaient aussi sûrement qu’en-bas. Insatiable, notre amie la termite voulut à nouveau s'élever davantage : de son commerce avec ces collègues des cimes, elle avait appris de nouvelles techniques pour surélever son ouvrage plus efficacement. C'est ainsi que traversant les nuages, elle atteignît d'autres cimes encore plus élevées, rencontrant d'autres congénères, mais en nombre de plus en plus réduit. Si elle voyait de plus en plus loin, elle était de plus en plus seule.

      Arriva le moment où son ascension lui fit crever le toit de la termitière ; elle vit alors un spectacle inattendu : d'autres termitières s’éparpillaient dans la savane et entre elles circulaient d’énormes fourmiliers. Cette histoire est loin d’être banale, mais là où elle devient franchement extraordinaire et carrément incroyable, c’est qu’à la vue des prédateurs, notre Sisif eu une révélation… elle comprit soudain que son élévation prenait racines dans sa termitière originelle, et que sans le travail de ces bases besogneuses, tout son piédestal s'écroulerait. Elle comprit que quoi que brillante fut son ascension, elle n'était rien qu'une minuscule bestiole haut perchée, perdue parmi une multitude d'autres termitières et à la merci d’un coup de langue gluante d’un monstre de passage. Alors tout en se demandant si les termitières pouvaient être unies dans d'autres réseaux d'élévation, elle considéra que finalement toutes ces élévations lui avaient permis de savoir à quelle termitière elle appartenait, d'apprendre à l'apprécier, d'œuvrer à sa sauvegarde. Alors pour distinguer sa termitière des autres, elle l’appela « l'Humanitière » et fit don de son œuvre à sa communauté...