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Cahier décharge Je ne sais pas ce que c'est, je le saurai quand j'aurai terminé. Et j'aurai terminé quand je saurai ce que c'est.

Page du 17 décembre 2019 jour le long des golfes clairs.

Denis Vallier

On est jeune et beau avec la vie devant soi. C’est l’âge de l’aventure et de tous les possibles. Un petit matin, on prend son bâton de marche légué par les aïeux et on grimpe la montagne dressée derrière chez soi. On passe cols et glaciers, on dévale mille éboulis, traverse maintes rivières et un beau jour ensoleillé, la mer est là qui barre l’horizon et vous coupe la route et le souffle… Les années ont passé… malgré tout, chaque fois que je contemple la mer qui danse le long des golfes clairs, ma tête tourne, c’est mon manège à moi, je suis pris de vertige. Une fois qu’on y a goûté, c’est une drogue douce dont on ne peut plus se passer au point que, l’âge venant, elle vous prive de toute envie de la quitter… Un mythe anthropologique du 19 ème siècle nous invite à rencontrer le monde pour nous enrichir. J’y ai adhéré volontiers comme Tonton Cristobal mais maintenant, j’ai la besace à souvenir qui déborde, et devant la Méditerranée, cette merveille étendue sous mes yeux, j’en suis venu à y renoncer : toute la beauté du monde et toute sa richesse s’étalent là à perte de vue ; sur ces rives, tout ce que l’humain a pensé ou dit  a déjà été déposé, ce sont des millénaires d’art et de culture qui viennent lécher le sable à vos pieds. On se dit alors qu’il est peut-être temps d’élaguer ses branches pour mieux s’enraciner.

Chaque fois que j’arrive en face de ce miroir, je suis obligé de ralentir, de prendre mon temps et de regarder... Pas simplement le paysage, je l’ai vu mille fois, mais l'au-delà du paysage, l'au-delà plus lointain, comme si quelque chose m'échappait dans l'idée arrogante que j'ai de vouloir cerner le Monde. Je vois entre autres, les pyramides, l’Acropole, Taormina,  la caldeira de Santorin, des milliers de papyrus et de livres sacrés ou profanes, fondateurs ou mythologiques, la Bible, le Coran, l'Odyssée des Grecs, les poèmes du Maghreb et les mystères des Milles-et-une nuits. Et puis toujours plus lointaine mais si présente, je vois l'Afrique par-delà le sel et le sable, dont je sens encore les fragrances épicées et que j’ai tant aimée. L'Afrique qui n'a pas d'histoire selon ce qu’en sait cet histrion de Sarkozy, parce qu’elle serait soit disant trop vieille, plongée dans le gouffre du temps… C’est vrai que quelques millions d'années, ça ne dit pas grand-chose à qui ne veut rien savoir...

D’autres aussi sont partis "comme un vol de gerfaut hors du charnier natal", plein d’espoirs dans l’avenir et de rêves de bonheur… Quand je contemple le bleu Marine de cette eau paisible, je vois aussi une folie sournoise étalée sur notre paranoïa, une tombe entourée de cinglés de tout crin, une déchirure qui ne cicatrisera pas, où des cadavres d’enfants, de femmes et de braves gens qui étaient partis les yeux brillants font le yo-yo entre deux eaux. Contempler la mer longuement et pensivement, c’est aussi avoir conscience qu’elle complote contre nous. C’est une chance d’être né du bon côté mais c’est aussi une anxiété irréductible. Quand je me mets à la place de ces gens au ventre vide et au regard plein d’étoiles, mon estomac se serre, mes tripes se tordent. Je suis alors piégé dans une contradiction folle, celle de me jeter comme cette foule de migrants dans l'inconnu, et celle de m'accrocher aux branches rassurantes que je connais, comme à une bouée de sauvetage métaphysique.

Malgré tout, le soleil colle si bien à ma vieille peau burinée… brûlures de l'air marin…rêves d’azur et d'autres vies qui s’effacent au loin. Et puis, je longe les rochers jusqu’au petit port où j'arpente le quai, où les voiliers sont là, inutiles fortunes à l’amarre, en pleine sieste, leurs mats balançant mollement, voiles pliées, attendant le marin audacieux qui les délivrera pour prendre l'aventure, un Icare assez fou pour hisser les voiles en direction du zénith, en direction de ce soleil qui a suivi l’histoire depuis le début et qui verra tout jusqu‘au dernier des jours. Tout ça, "c’est de la faute au soleil"…

Page du 17 décembre 2019 jour le long des golfes clairs.
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